Carrefour 2014
Un édifice de mystification pour une pression permanente sur la rémunération du travail (publié sept.2015)
Si les actionnaires sont parfaitement informés du bon niveau de rentabilité de Carrefour, il n’en est rien pour la majeure partie des salariés, les employés tout particulièrement. Ceux-ci sont entretenus dans une vision erronée de la réalité de la situation de leur entreprise du fait des déficits permanents mais totalement artificiels de l’activité de la Grande Distribution.
En France, le nombre de filiales de services en tout genre est bien supérieur à celui des magasins de vente : location de terrain, location bail de propriété intellectuelle, services administratifs, de management
Si le montage est classique, il prend des proportions hors du commun : la richesse créée par les entreprises de ventes est parasitée, détournée par le biais de ces filiales
Ainsi, la société « Carrefour hypermarchés » qui regroupent 224 établissements assurant la grande distribution sur le territoire français est en déficit permanent, de l’ordre de 300 millions € par an
A l’inverse, Carrefour Proximité France qui facture la location bail de propriété intellectuelle (marque Carrefour) aux établissements de vente dégage un résultat d’exploitation de 160 millions €.
Dans ce contexte, la pression sur les bas salaires a pu s’exercer de manière efficace : entre 2012 et 2014, la moyenne des salaires pour l’ensemble du Groupe (France et étranger) baissait de 1,5% améliorant ainsi le résultat pour l’actionnaire. Et le PDG en a été récompensé avec une rémunération de 3,8 millions € en 2013 et 2014.
Carrefour respecte ses obligations fiscales avec un taux de 35,3% d’imposition sur son bénéfice
Lire l'article completQuelques données sur le Groupe Carrefour (document référence 2014)
Deuxième distributeur mondial et premier en Europe, Carrefour a réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de 75 milliards d’euros dans ses 10 860 magasins sous enseignes
Aujourd’hui présent en France métropolitaine et outre-mer, mais aussi dans d’autres pays d’Europe , en Amérique latine , en Asie, ainsi que sur d’autres zones comme le Maghreb et le Moyen-Orient
A fin 2014, Carrefour emploie 381 227 salariés dans 11 pays, dont 89% sont des employés travaillant dans les hyper ou super marchés et dont 23% à temps partiel, plus souvent subi que choisi
Une rentabilité en nette progression en 2014 pour l’ensemble du Groupe et pour la France (source : document de référence 2014)
Pour l’ensemble du Groupe, le chiffre d’affaires 2014 (à taux de change constant) progresse de 3,9 % . Et pour les résultats, c’est bien mieux : + 10,6%, pour le résultat opérationnel (résultat d’activité) et + 24,6% pour le résultat net avec 1,18 milliard €
En France, depuis 2012, le chiffre d’affaire est resté stable mais l’évolution du résultat opérationnel (d’activité) est particulièrement remarquable avec une hausse de 38 % sur deux ans. Cette performance est due à « une bonne maîtrise des coûts d’exploitation » (selon le document de référence 2014).
Effectivement la pression sur les frais de personnel a été efficace, une baisse de 1,5% de la moyenne des salaires pour l’ensemble du groupe (seule information disponible) entre 2012 et 2014.
Mais pour les actionnaires et le PDG, c’est le pactole,
Avec un dividende de 500 millions € en 2014, la rémunération des actionnaires s’améliore de 21% sur 2 ans
Avec une rémunération annuelle de 3,8 millions € en 2013 et 2014, la rémunération du PDG s’améliore de prés de 10% par rapport à 2012 (salaire proratisé en année pleine)
Et le creusement de ces profondes inégalités est le résultat d’une organisation particulièrement contestable.
Une organisation opaque
Si, comme dans les autres Groupes, la holding « Carrefour » détient l’ensemble des filiales et a pour rôle de définir la stratégie du Groupe et de gérer les résultats, l’organisation des filiales est particulièrement complexe à analyser.
Pour la France, un sous groupe « Carrefour France » rassemble plus de filiales de services que de magasins de vente. Et ces filiales de service n’ont d’autres vocations que de facturer des prestations aux entreprises de production pour en accaparer les résultats
Parmi les activités de ces filiales de service, on peut, sur la France, citer : location de terrain, location bail de propriété intellectuelle, services administratifs, de management, services d’informatiques, centre de formation, régie de publicité, centrale d’achat du carburant…
Pour certaines de ces entreprises, en particulier pour l’activité de location de terrain, les frais de personnel sont nuls, ce qui signifie qu’il n’y a aucun salarié. Pour d’autres, au contraire, management, administratif et propriété intellectuelle, les frais de personnel sont élevés et correspondent à des salaires de cadres.
Pour les entreprises qui vendent aux clients : marchandises avec les hypermarchés, supermarchés et Carrefour Drive, voyages avec Carrefour Voyages, Carburant avec Carautoroutes, Vente à distance, il y a bien évidemment des frais de personnel, car sans salarié, pas de vente !!
Un montage qui sert à masquer les bénéfices aux yeux du personnel employé
Le principe est le suivant : les prestations de location, administration….,de management sont facturés aux hypermarchés à un tel niveau que leurs résultats sont rendus déficitaires. Par contre les entreprises de services, elles sont, dans l’ensemble, largement bénéficiaires. Ce système a une conséquence : limiter les revendications salariales. Il semblerait que malgré les déficits, une participation soit versée aux salariés.
Les déficits dans les filiales avec du personnel salarié
Les déficits connus dans les filiales de la grande distribution sont parfois abyssaux et donnent le vertige
Quelques exemples
La société « Carrefour hypermarchés » qui regroupent 224 établissements sur le territoire français enregistre des déficits annuels de plus de 300 millions € sur les 4 dernières années
La société « La Société des nouveaux hypermarchés » qui regroupent 14 établissements enregistre des déficits annuels variant entre 3 et 15 millions € sur les 4 dernières années.
Et il en va de même pour les sociétés, Carrefour Drive et ses 16 établissements, Carrefour Voyages et ses 111 établissements, Carautoroute et ses 27 établissements : Que des déficits !!, de 1, de 5, 6 millions €, voire même de14 millions€ (Carrefour Drive)
Une seule exception : LV-Dis Carrefour à Caen avec ses 2 établissements présente un résultat légèrement bénéficiaire en 2013, légèrement déficitaire en 2014.
Des bénéfices chez les autres, sans personnel salarié
Quelques exemples
Carrefour France, dans son activité de location de terrain dégage un bénéfice de 105 millions €, perçoit en outre des dividendes en tant que société Holding. Et si cette entreprise présente parfois des déficits, c’est uniquement par le « jeu » des provisions,
Carrefour Property France, dans son activité de location de terrain dégage un bénéfice de 84 millions € . Cette société est aussi une sous holding et perçoit des dividendes
La société GM Carrefour a une activité de location de terrain , et dégage un bénéfice de 3 à 4 millions € (hors provisions)
La Financière Geric avec son activité de location de terrain, dégage des bénéfices de plus de 2 millions € chaque année
Carrefour Régie Publicité, qui comme son nom l’indique exerce une activité publicitaire pour l’ensemble du groupe dégage un bénéfice de 3 millions € en 2013 et de 10 millions € en 2012
Quant à la centrale d’achat de carburant, elle dégage un résultat (avant éléments exceptionnels) d’un montant de 7 à 10 millions € selon les années
La liste pourrait être longue encore de ces entreprises sans effectif salarié qui dégage d’importants bénéfices par des facturations aux filiales de production
Comment ces entreprises peuvent-elles facturer des prestations sans le moindre salarié, la réponse se trouve dans 3 sociétés « Carrefour Management » « Carrefour services administratifs » et « Carrefour Proximité France »
Trois sociétés de services annexes avec effectifs et bénéfice
Carrefour Management et Carrefour administratif France assurent, comme leurs noms l’indiquent, management et administration, le premier avec un effectif de 432 salariés, le deuxième avec 6 établissements et un effectif de 600 salariés environ.
Carrefour Proximité France assure la location bail de propriété intellectuelle, avec 113 établissements et un effectif d’environ 650 salariés.
Ces trois sociétés facturent leurs services aux hyper et supermarchés et mettent (probablement) à disposition le personnel dans les filiales sans effectif
Les résultats sont tous très largement bénéficiaires dans ces 3 filiales, la palme revient à Carrefour Proximité France avec 200 millions € (hors éléments exceptionnels)
Et ce ne sont pas les niveaux de salaires qui sont à l’origine de ces résultats, les moyennes de salaires sont élevés d’environ 3600 € (moyenne mensuelle brut) pour Carrefour administratif et Carrefour Proximité France et de 12 500 € (moyenne mensuelle brute) pour Carrefour management. En outre, les salariés de ces 3 entreprises reçoivent tous une participation au bénéfice, variant de 1000 € à 7000€ par personne et par an.
Les qualifications dans ces trois entreprises justifient certainement ces montants de salaire, mais ce qui est en cause, c’est cet empilement de structures qui masquent, pour les salariés de la base le véritable produit de leur travail.
Un dernier argument sur le caractère fictif des déficits des hyper, supermarchés Carrefour
Les supermarchés « Carrefour Market » appartiennent à 2 groupes : 50% Carrefour, 50% Provencia
Donc 2 maisons mères contrôlent ces supermarchés , et se surveillent mutuellement , chacune refusant certainement que l’autre détourne du résultat pour son seul profit
Le résultat de Carrefour Market est ainsi très largement bénéficiaire, au dessus de 10 millions €, sur les années 2010 à 2012, les comptes 2013 n’ayant pas été déposés.
Du fait de ces bénéfices, les salariés perçoivent la participation aux résultats, soit en 2012 un montant moyen par salarié de 1300 €
En conclusion, présenter des situations déficitaires dans les hyper et supermarchés de Carrefour fait partie d’une stratégie du Groupe pour faire pression sur les bas salaires , mais cette tromperie est la traduction d’un manque total de respect et de confiance pour les salariés de ces entreprises. Et la récompense reçue par le PDG paraît indécente et cynique !
A noter que contrairement à d’autres groupes, il n’y a pas de recherche d’optimisation fiscale, puisque le taux d’impôt sur le bénéfice est de 38%.
Sources
- Comptes financiers des entreprises citées
- Document de référence 2012, 2013 et 2014
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