Délégation de Service Public aux entreprises privées

Dans l’eau du robinet coulent les dividendes (publié avril 2017)

Le service public est au cœur des enjeux de sociétés et des débats politiques actuels.
Dans la pensée néolibérale, le service public est considéré comme de l’assistanat, et le transfert au privé comme la seule alternative possible. La concurrence libre et non faussée, chére aux institutions européennes, impose la marchandisation de tous les services, à l’exception de la justice, la sécurité et la défense.

Ce triomphe du libéralisme apparaît clairement dans les services de santé, avec le développement de l’hospitalisation privée et l’entrée en force des assurances privées dans les complémentaires de santé.

Mais, pour beaucoup d’autres services, le transfert au privé se fait plus insidieusement. Sous le terme «délégation de service public» se cache, en fait, une privatisation, opérée souvent à l’insu des usagers.

En effet, confier à une société privée la gestion d’un service public est un parfait non sens, car les objectifs poursuivis sont en pleine contradiction : la gestion publique a pour vocation de satisfaire au mieux les besoins des usagers alors que la gestion privée a pour seul but de maximiser la rémunération de l’actionnaire.

L’accès à l’eau potable fait partie des éléments vitaux du quotidien des citoyens. Or aujourd’hui, plus de 60 % de la population française est soumise au diktat de la rentabilité, pour ce bien essentiel.

Trois grands groupes privés interviennent dans la gestion de l’eau pour le compte des communes ou des agglomérations. L’analyse des profits dégagés sur ces délégations de service public indique que l’usager paie parfois très lourd ce choix des élus, pour le plus grand bonheur des spéculateurs.

 

 

 

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Enjeux économiques et sociaux

Service public et libéralisme économique

Pour les tenants du libéralisme, le service public doit se limiter aux fonctions régaliennes de l’État : Armée, Justice, Police. L’État providence entrainerait l’assistanat, la dépendance et le gaspillage d’argent du contribuable. Les Etats-Unis et la Grande Bretagne sont les dignes représentants de ce courant. Et la France s’y dirige à grand pas.

Service public et intervention de l’Etat

Pour les  tenants de l’intervention de l’État dans l’économie, la conception du service public est bien différente : la collectivité doit prendre en charge la satisfaction  des besoins essentiels des citoyens, santé, éducation, transports, énergie, eau, équipements culturels et sportifs pour en assurer à tous un accès libre et gratuit ou à moindre coût Le financement par l’impôt permet de réduire les inégalités, d’assurer des solidarités. Ce fut, en partie, le cas de la France de 1945 à 1970.

Les évolutions en France

A la fin des années 70, le retour en force du libéralisme s’est traduit par une privatisation progressive des services publics.
A partir des années 90, le mouvement s’accélère, en empruntant deux voies aux conséquences bien différentes pour l’usager.

Dans la santé, l’éducation, l’ouverture  au privé s’effectue par le développement d’entreprises privées coexistant avec le service public,  l’usager possède encore le libre choix  entre public ou privé, c’est le cas des hôpitaux des EHPAD, des écoles ….

Pour d’autres types de services , l’eau, les transports …l’ouverture au privé s’effectue par un transfert direct,  ne laissant aux usagers aucune autre alternative que celle de s’adresser à une entreprise privée, c’est la délégation de service public

Délégation de service public et intérêts privés

Modalités de la délégation

Les collectivités territoriales doivent assurer certains services publics : distribution de l’eau, transports collectifs, collecte des déchets, réseaux de chaleur ….
La collectivité peut assurer la gestion directement, sous plusieurs formes, régie … ou indirectement, elle la confie, alors, à une entreprise privée qui se rémunère sur les recettes d’exploitation et sur le résultat.

Intérêts privés et services publics

La gestion  publique a pour finalité la qualité du service rendu afin d’assurer un maximum de satisfaction à l’usager.
La gestion privée  a pour finalité la rentabilité pour assurer un maximum de satisfaction à l’actionnaire.

Ces deux objectifs sont  incompatibles et la gestion de l’eau en est un exemple.

L’accès à l’eau est un élément vital et pourtant actuellement , plus de la majorité de la population  soit 36 millions de personnes est sous la dépendance de groupes privés pour sa facture d’eau (1)

Selon une étude officielle (1), le m3 d’eau est facturé 3.63 € en gestion directe et 4,05 €  en gestion déléguée, ce qui constitue un surcoût annuel moyen de 42€  pour un foyer de 4 personnes sur la base d’une consommation annuelle de 100 m3 et  un bénéfice de 378 millions € annuel pour les 3 grands opérateurs privés.

Derrière ces chiffres globaux se cachent des réalités bien contrastées.

Etude de cas : la gestion de la distribution d’eau

Trois groupes privés se partagent les délégations de services publics de l’eau..

Groupe Saur

A titre d’exemples, étude de 3 entreprises

Saur

400 établissements  sur le sol français et de nombreuses filiales françaises et étrangères.
En délégation de service public pour des agglomérations ou des communes françaises.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (2015)
Versement de dividendes aux actionnaires : 20 millions € pour un capital investi de 101 millions €, soit un taux de rémunération de 20%.
Impôt sur le bénéfice : 11 millions €.

En payant leur eau, les usagers gérés par Saur donnent chaque année  20 millions € aux actionnaires, leur assurant une rentabilité de 20% de leur capital et 11 millions € à l’État, soit un surcoût de 31 millions €

Compagnie des Eaux de Royan, filiale  de Saur

En délégation de service public pour  la communauté d’agglomération de Royan (Charente-Maritime) : 34 communes et 81 896 habitants.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (moyenne sur 3 ans)
Versement de 2 millions € à la maison mère ( pour quelles prestations ?)
Versement de dividendes aux actionnaires :   1,7 million €  pour un  capital investi  de  1,8 million €, soit un taux de rémunération de 95%.
Impôt sur le bénéfice : 0,8 million €.

En payant leur eau, les usagers de l’agglomération de Royan donnent chaque année 1,7 million € aux actionnaires, leur assurant une rentabilité de 95% de leur capital, et 0,8 million € à l’Etat, soit un surcoût de 2,5 millions €.

Sur la base de 4 personnes , le surcoût par foyer est  de 122 € annuel (220€, si on y inclut la prestation de 2 millions €).

Société des eaux de la Brie, filiale de Saur

En délégation de service public de « Val d’Europe Agglo » , situé en Seine et Marne : 5 communes et 29 852 habitants.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (moyenne sur 3 ans)
Versement de dividendes aux actionnaires : 984 milliers €  pour un capital investi de 38 000 €, soit un taux de rémunération de 2 589%  !!!
Impôt sur le bénéfice : Nul ???

En payant leur eau, les usagers de Val d’Europe Agglo donnent chaque année 984 milliers €  aux actionnaires, leur assurant une rentabilité hors normes de 2 589 %. de leur capital.

Sur la base de 4 personnes , le surcoût  par foyer est de 132 € annuel.

Groupe SUEZ (ex Lyonnaise des eaux)

A titre d’exemples, étude de 3 entreprises.

Suez eau France

200 établissements, et  nombreuses filiales françaises et étrangères.
En délégation de service public pour des agglomérations ou communes françaises.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (moyenne sur 2 ans)
Versement de dividendes aux actionnaires : 52 millions €, pour un capital investi de 422 millions €, soit un taux de rémunération de  12%.
Impôt sur le bénéfice  négatif , dû au mécanisme d’intégration fiscale, ce sont les filiales qui paient pour  la maison mère.

En payant leur eau les usagers gérés par Suez eau France donnent chaque année 52 millions € aux actionnaires, leur assurant ainsi une rentabilité de 12% de leur capital.

Société stéphanoise des eaux,  filiale Suez eau France

En délégation de service public pour l’agglomération de St Etienne (Loire), 53 communes, et 403 000 habitants.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (moyenne sur 3 ans)
Versement de dividendes  aux actionnaires : 2,2 millions €   pour un capital investi de 15 millions €, soit un taux de  rémunération de 15%.
Impôt sur le bénéfice : 1 million €,

En payant leur eau, les usagers de l’agglomération de Saint Etienne donnent, chaque année,  aux actionnaires 2.2 millions €, leur assurant ainsi une rentabilité de 15% de leur capital et 1 million € à l’État, soit un surcoût de .3,3 millions€

Sur la base de 4 personnes, le surcoût par foyer est  de 32€ annuel.

Société des eaux de Versailles, filiale de Suez eau France

En délégation de service public pour l’agglomération de Versailles (Yvelines), 19 communes et 242 000 habitants.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (moyenne sur 3 ans)
Versement de dividendes  aux actionnaires : 5,9 millions €, pour un capital investi de 5,7 millions €, soit un taux de rémunération de 103%.
Impôt  sur le bénéfice : 2,9 millions €.

En payant leur eau, les usagers de l’agglomération de Versailles donnent, chaque année,  aux actionnaires 5,9 millions €, leur assurant ainsi une rentabilité de 103% de leur capital et 2,9 millions € à l’État, soit un surcoût de 8,8 millions €

Sur la base de 4 personnes, le surcoût par foyer est  de 145€ annuel.

Groupe Veolia  (ex Générale des Eaux)

A titre d’exemples, étude de 3 entreprises.

Véolia compagnie générale des eaux,

1000 établissements, situés sur le territoire français et de nombreuses filiales en France et à l’étranger.
En délégation de service public pour des agglomérations ou communes françaises.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (moyenne sur 3 ans)
Versement de dividendes aux actionnaires :  144 millions € pour un capital de 2 512 millions € soit un taux de rémunération de 6%.
Impôt sur le bénéfice  négatif , dû au mécanisme d’intégration fiscale, ce sont les filiales qui paient pour  la maison mère.

En payant leur eau, les usagers gérés par Veolia donnent chaque année 144 millions € aux actionnaires, leur assurant ainsi une rentabilité de 6% de leur capital.

Notons que le taux de rémunération est « relativement » faible, mais il est fort possible que des transferts occultes de marge soient effectués en amont, à travers des facturations avec les filiales ou avec la maison mère.

Société  Mosellane des Eaux , filiale  Veolia

En délégation de service public pour  l’agglomération de Metz (Moselle) , avec 236 329 habitants desservis et 50 937 abonnés.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (moyenne sur 3 ans)
Versement de dividendes aux actionnaires  : 1,9 million €, pour un capital investi de 1,3 million €, soit un taux de rémunération de 146%.
Impôt sur le bénéfice :0,7 million €.

En payant leur eau, les usagers de l’agglomération de Metz donnent, chaque année,  aux actionnaires 1,9 million €, leur assurant ainsi une rentabilité de 146% de leur capital et 0,7 million € à l’État, soit un surcoût de 2,6 millions €.

Sur la base du nombre d’abonnés, le surcoût par foyer est  de 51 € annuel.

Société des eaux de Trouville, Deauville Normandie, filiale de Veolia

En délégation de service public pour l’agglomération de « Cœur Côte Fleurie » (Calvados), 11 communes, 20 000 habitants à l’année et 120 000 habitants en période estivale.

Charges supplémentaires supportées par les usagers (moyenne sur 4 ans)
Versement de dividendes  aux actionnaires :  0,8 million €  pour un capital investi de 2,2 million €, soit un taux de rémunération de 37%.
Impôt sur le bénéfice : 0,3 million €.

En payant leur eau, les usagers de l’agglomération de Trouville Deauville donnent, chaque année,  aux actionnaires 0,8 million €, leur assurant ainsi une rentabilité de 37% de leur capital  et 0,3 million € à l’État, soit un surcoût de .1,1 million €.

Ce supplément de charges de 1,1 million € est à répartir entre la population locale et les estivants.

La délégation de service public pour la distribution d’eau constitue donc un placement lucratif pour les spéculateurs.
Il en va de même pour d’autres services publics, transports urbains (voir notre article sur Kéolis), remontées mécaniques (voir Compagnie Des Alpes) …
Et précisons que nous n’avons vu que la partie visible de l’iceberg : une analyse des comptes détaillés ferait certainement apparaître d’autres surcoûts, comme pour la Compagnie des Eaux de Royan.

Service public et gestion privée : une incompatibilité notoire !

Sources

(1) Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement : Panorama des services et de leur performance en 2012 (Juillet 2015)
Documents comptables des 9 entreprises étudiées pour les années 2013, 2014 et 2015
Compagnie des eaux de Royan : rapport de gestion 2015, rapport sur les conventions règlementées 2015, projet de résolutions AG 27/06/2016
Sites internet des communes ou communautés de communes concernées

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Commentaires

Iordache Elisabeta dit :

En effet la DSP est le pire des toutes les invention du capitalisme : les usagers paie l’entreprise privé, l’état et les collectivités locales associées avec les 3 multinationales. C’est la déresponsabilisation des tous. Les élus de l’agglomération Montargoise ne défendent plus les intérêts des usagers, mais de la Suez. Le comble, les usagers ne peuvent rien faire, l’état défende aussi les entreprises privées!
Cordialement!

Daniel Rougerie dit :

Je ne suis pas sur que les fonctions régaliennes de l’Etat soit protégées des privatisations. On a vu qu’à l’occassion de traité de libre échange transatlantique, les litiges entre sociétés et Etat devait être réglés par des tribunaux privés, dit arbitraux. Des sociétés de « sécurité » se développent aux marges de l’action policière. Enfin, j’ignore si le gouvernement emploie beaucoup de mercenaires pour ses guerres néo-coloniales, mais les USA semblent le faire à grande échelle. De plus il n’existe plus d’arsenaux publics, ils sont tous privés, et la fourniture d’armes et de munitions dépend d’entreprise privées souvent étrangères.