KEOLIS 2016

Un service public malmené par l’obsession de la rentabilité et les grandes manœuvres (publié juin 2017)

Détenu à 70% par la SNCF, le groupe public Kéolis opère dans le secteur des transports, en délégation de service public (DSP).

Avec de telles caractéristiques, assurer le meilleur service aux usagers devrait être le seul objectif du Groupe, mais la présence d’un actionnaire privé et la domination de la pensée unique libérale lui substitue la recherche du plus grand profit.

Pour préserver son marché et convaincre ses partenaires  de son total désintéressement, Kéolis semble avoir adopté une stratégie bien particulière : la manipulation des résultats.

L’analyse de quatre exemples permet d’étayer cette hypothèse.

L’exploitation du réseau du Grand Lyon serait lourdement déficitaire depuis fort longtemps et pourtant le groupe est vent debout  pour conserver ce contrat.

A Lille, après des années de résultats positifs, sont apparus brutalement des déficits de grande ampleur et malgré cette détérioration,  le Groupe utilise toutes les moyens, y compris judiciaires, pour remporter, coûte que coûte, le renouvellement de la DSP.

A Bordeaux, l’évolution est inverse, les déficits d’exploitation  se sont soudainement mués en résultats positifs, suite à une nouvelle concession.

Et Dijon se singularise par une rentabilité régulière largement positive depuis de nombreuses années.

Le développement de Kéolis à l’international est motivé par la seule course à la  rentabilité, mais sa justification est bien curieuse   : les bénéfices à l’étranger serviraient à couvrir les déficits supportés en France. Quel esprit de civisme !!!

A qui peut-on faire croire qu’un fonds de pension canadien (actionnaire à 30%) puisse tolérer des activités déficitaires ?

Et comment expliquer que des réseaux comparables puissent dégager des résultats aussi contrastés dans le temps et dans l’espace ?

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Groupe Kéolis, développement et internationalisation

Issu de la fusion de 2 sociétés préexistantes  Via GTI et Cariane.  le groupe Kéolis voit le jour en 2001.

La SNCF est actionnaire à 70%, et la Caisse de Dépôt et Placement du Québec, principal fonds de pension canadien, possède les 30% restant.

Sous délégation de service public (DSP), le groupe gère des réseaux de bus, de métros (avec ou sans chauffeur), de tramways, de cars, de vélos en location, de parkings, de navettes maritimes, de funiculaires, de trolleybus et de services aéroportuaires (pour plus de détails, voir notre article 2014).

L’exploitation des réseaux est financée par  deux  type de ressources, le versement transport versé par les entreprises (42% des recettes totales),  les recettes des usagers et éventuellement des subventions publiques.
Et dans la plupart des cas, les investissements, infrastructure et matériel, sont  réalisés par la collectivité publique.

En 2016, Kéolis est implanté sur les 5 continents et réalise 46% de son chiffre d’affaires à l’étranger.

Et ce développement à l’international se pare des vertus du civisme, les faibles contraintes à l’étranger lui permettraient de dégager des bénéfices compensant les déficits des réseaux français. Et certains y croient, comme E QUIQUET, ancien élu de la communauté urbaine de Lille

« Un opérateur privé peut gagner de l’argent sur une délégation de service public, mais il peut aussi en perdre. Lors du contrat précédent (2002-2008), Keolis (la maison-mère de Transpole) a dégagé une marge de 1% à Lille, soit environ 2 millions d’euros par an. Cette fois le contrat est déficitaire, mais Keolis réalise des marges à deux chiffres ailleurs, en Australie… C’est l’avantage, pour une métropole comme Lille, de s’adresser à des groupes qui jouent sur toute la planète. » (journal 20 minutes du 9 avril 2015).

Kéolis Lyon :  opérateur historique et  déficits ubuesques

Opérateur historique

Depuis 20 ans, Kéolis exploite le réseau urbain de transports du Grand Lyon pour le compte du SYTRAL (Syndicat mixte des transports pour le département du Rhône).

 « Premier contrat en termes de chiffre d’affaires, de fréquentation et vitrine de l’expertise multimodale du Groupe Kéolis».(rapport d’activité 2016)

Déficits ubuesques

Les pertes sur les 12 dernières années

2005/2010 : une perte cumulée de 33 millions € sur 6 ans.
2011-2016 : une perte cumulée de 32 millions sur 5 ans, les comptes 2016 n’étant pas encore publiés.

Et au cours des deux dernière années connues, 2014 et 2015 le déficit s’est aggravé pour atteindre 10 millions € annuel.
Malgré un CICE de 7 millions € en 2015

Leur financement  par la Holding

Sur la dernière décennie, Groupe Kéolis (holding) a dû compenser les déficits à hauteur  de 47 millions €.

Interrogations

Le déficit est il  réel ?

Comme l’atteste le  commissaire aux comptes dans son rapport annuel 2015.

« Nous certifions que les comptes annuels sont, au regard des règles et principes comptables français réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat…… » Frédéric Charcosset de Price Water Houses

Le déficit est il stratégique ?

A partir de questions de simple bon sens 
Pourquoi le groupe Kéolis accepte-t-il de perdre autant d’argent ?
Pourquoi le commissaire aux comptes (CAC) n’exerce-t-il pas son droit d’alerte ?

« Quand le CAC relève des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, il en informe le président du conseil d’administration (ou du directoire). »  Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre).

Par un transfert de marge dans d’autres filiales ? (voir notre article 2014)
Par le biais de facturation de services  : frais de management,  d’informatique, d’assistance …., ou de surfacturations de frais de  personnel mis à disposition (115 salariés en 2016), de sous-traitance.

A titre d’exemple :  Autocars Planche, filiale à 100% du groupe Kéolis assure des transports scolaires et en ligne régulière en sous traitance de Kéolis Lyon . Or les résultats de cette filiale sont très largement positifs : un résultat d’exploitation de 3 millions € annuel représentant 10% du chiffre d’affaires.

Contrairement aux affirmations du commissaire aux comptes

« aucune information n’est donnée au titre des transactions conclues entre les parties liées dans la mesure ou ces transactions ont été conclues à des conditions normales de marché »

En terme simples, cela signifie que les échanges entre les filiales ne serviraient pas à des transferts de marge !!

Pour quelles raisons ? pression sur le personnel ?

 «  l’article 12 de la loi sur le service minimum oblige lors des appels d’offre à intégrer des critères sociaux et environnementaux mais il n’est jamais respecté. La convention 2017/2022 entre keolis Lyon et le SYTRAL ne fait pas exception, au contraire c’est une course effrénée à l’optimisation financière et la recherche permanente de gain de productivité qui sera une fois de plus la règle, les premières informations sur ce contrat nous font craindre le pire » lettre novembre 2016 de l’UGICT CGT

Lille, la soudaineté des déficits et un difficile renouvellement

La soudaineté des déficits

De 2005 à 2011, le résultat d’exploitation  toujours très largement positif, supérieur à 3 millions €,  était en grande partie transféré à la holding (voir explications kéolis 2014).

Soudainement la stratégie change, un résultat quasiment nul en 2012 et lourdement déficitaire à partir de 2013, entre 9 et 12 millions € annuel.
Et pourtant le chiffre d’affaires augmente au cours des 5 dernières années, les frais de personnel ont tendance à se réduire, passant de 53% à 47% du chiffre d’affaires. A l’inverse, les achats de biens et services sont en forte hausse, passant de 39% à 46% du chiffre d’affaires : transfert de marge  (voir analyse Lyon) ?

La brutalité de l’évolution pose question et pourrait servir à justifier des reculs sociaux pour les usagers  comme pour les salariés et à rendre impossible tout retour en régie directe.

Un renouvellement tumultueux pour 2018/2025

En 2016, deux groupes, Kéolis et Transdev, ont répondu au nouvel appel d’offre, mais celui-ci est déclaré infructueux en novembre, pour la raison suivante :

 « Non-respect des conditions et caractéristiques minimales fixées dans le règlement de consultation ».selon les responsables de la métropole lilloise (MEL)

Mécontent, Keolis dépose, alors, un recours au tribunal administratif  en annulation de la décision de la métropole.
Mais le tribunal administratif considérant que Kéolis n’a pas été lésé par  rapport à ses concurrents, le déboute de sa demande.
La MEL lance un nouvel appel d’offre et la décision devrait être prise au cours du premier semestre 2017.

L’acharnement de Kéolis à conserver cette DSP parait incohérente et contradictoire avec les lourds déficits subis. Des articles de la presse locale avancent quelques explications (voir nos sources).

Kéolis Bordeaux : Miracle ou Négociation habile ?

Rappel des infos 2014 sur les déficits

Dans notre article , nous avions noté que, malgré les résultats déficitaires, un cumul de 13 millions € , Kéolis persistait à présenter sa candidature pour le renouvellement.
Le nouveau contrat a été signé en 2014, pour une prise d’effet en 2015 et présenté comme une grande victoire «ce réseau phare du Groupe va devenir le plus grand réseau de tram français».

Une nouvelle société et ses bénéfices

En 2015, une nouvelle société est créée, se dénommant Kéolis Bordeaux Métropole (remplaçant Kéolis Bordeaux)  qui, très curieusement, dégage un résultat d’exploitation  bénéficiaire de 2,6 millions € en 2016.

Quelles raisons à cette évolution ?

La progression du chiffre d’affaires s’effectue sans générer d’augmentation proportionnelle des charges :
– Subvention versée par l’agglomération ?
– Hausse des recettes usagers, par la fréquentation ou les tarifs ?
Espérons simplement que les élus de l’agglomération de Bordeaux se soient entourés de solides garanties face aux capacités de manipulation des chiffres.

Kéolis Dijon :  Rentabilité avouée et décomplexée

Parmi les grands contrats, Kéolis Dijon fait figure d’exception : depuis plus de 10 ans, les résultats sont toujours bénéficiaires et systématiquement et ouvertement transférés  à la maison mère.

Un nouveau contrat prend effet en janvier 2017

« Cette future DSP intègre les bus, tramways, services PMR, parkings, stationnement en voirie, vélos en libre-service et en location longue durée, fourrière automobile et vélo. Elle devient ainsi le premier contrat de mobilité globale français. » (rapport financier 2016)

La rentabilité est excellente, représentant un taux de rémunération du capital de 200% jusqu’en 2012 et de 100% à partir de 2013 ! La diminution du taux est liée à l’augmentation du capital et non à une quelconque dégradation des résultats.

Et  curieusement le directeur en place jusqu’en 2012/2013, à l’origine de ces bons résultats a été muté à Lille où il n’obtiendrait que des déficits !!!

L’analyse de ces quatre situations laisse réellement perplexe sur les stratégies de Kéolis, les collectivités locales, les usagers et les salariés en sont probablement les principales victimes

Sources

Rapports financiers 2016
Rapports d’activité 2016
Bilans et Comptes de résultat des 4 filiales étudiées
Rapport du commissaire aux comptes pour Kéolis Lyon
Site de l’UGICT CGT Kéolis lyon
Journal La Brique (Lille) 13 décembre 2015
Journal 20 minutes du 9/4/2015 et du 20/5/2016
Commentaire PCF Lille (sur notre article 2014)
Le Parisien 1er décembre 2016

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