Crédit Agricole

Des principes de ruralité et de solidarité sacrifiés aux sirènes d'un libéralisme débridé (publié juin 2017)

Créé en 1895, pour apporter un soutien financier aux agriculteurs en situation de grande difficulté, le Crédit Agricole ne possède, aujourd’hui,  plus rien de son éthique de départ.

L’objectif initial était clair : les paysans avaient besoin d’accéder à des prêts, avances sur récolte, reconstitution de cheptels, que seule une banque mutuelle pouvait leur accorder.

Le pouvoir de décision appartenait aux clients sociétaires, détenteurs du capital, qui pouvaient agir  sur la qualité du service rendu pour satisfaire leur intérêt collectif.

Un premier virage sera pris après 1945, avec  l’ouverture d’agences en zone urbaine et  la diversification de la clientèle, éloignant le crédit agricole de son objet de départ.

A partir des années 70, une succession de lois  bouleversera  le secteur bancaire,  le libéralisant et généralisant  produits et  clientèles à l’ensemble des banques.
Le crédit agricole adoptera alors une  stratégie d’expansion effrénée, création de filiales, rachats de banque, internationalisation et  introduction en Bourse.

La crise de 2008 ne l’épargnera pas  et le groupe devra céder de nombreuses filiales, certaines pour l’euro symbolique, générant ainsi des pertes importantes.

Mais depuis longtemps, le pouvoir n’appartenait plus aux sociétaires, trop nombreux pour l’exercer.
De fait, les décisions étaient prises par des dirigeants (aux rémunérations très élevés), dont les seuls critères étaient, et sont toujours, la rentabilité et le cours de l’action en Bourse.
L’obsession de la « maitrise des charges » se traduit actuellement par une baisse  des effectifs alors que les produits d’activité sont en hausse.

Récemment  le Groupe a été mis en cause dans plusieurs affaires, comme celles  des «Panama Papers» et du «Dakota Access Pipeline»
Au terme d’un siècle l’esprit mutualiste a disparu au profit de l’argent-roi.

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Naissance du crédit agricole  et ses premiers pas

Trois bonnes raisons

Une situation dramatique dans l’agriculture

A la fin du XIXème siècle, le monde agricole est en  grande difficulté,   subissant de plein fouet la dépression économique et les calamités naturelles comme le phyloxera pour la vigne, la maladie du charbon pour les moutons. Pour reconstituer le cheptel et les plantations, les agriculteurs ont besoin de crédit mais sont trop pauvres pour intéresser les banques commerciales.

Des visées électoralistes

Avec l’instauration de la 3ème république en 1870, et le suffrage universel , le monde paysan représente un électorat très important et les députés vont tenter d’apporter des solutions  pour s’attacher leurs voix.

L’influence des philosophes  Proudhon et Fourier

Le XIXème siècle est une époque riche en expériences de communautés qui se créent en opposition au système capitaliste naissant, sous toutes les formes, coopératives, phalanstères, mutuelles.

Et trois structures

Des caisses locales

Les lois  de 1884 et 1894, seront à l’origine de la création des caisses locales de crédit agricole , sur le principe du mutualisme.

Des caisses régionales

Elles seront instituées un peu plus tard pour assurer la répartition, entre les caisses locales, des subventions versées par l’Etat. En effet, à partir de 1895, des dotations annuelles seront accordées au crédit agricole, ses ressources se révélant  insuffisantes pour satisfaire les demandes de prêt.

Une caisse nationale

Elle verra le jour pendant la première guerre mondiale, avec la mission d’assurer la régulation des caisses régionales, elle sera dotée du statut d’ établissement public .
Le système du crédit agricole  est alors hybride : un principe mutualiste pour les caisses locales et régionales, un caractère d’établissement public pour la caisse centrale.

1945/1970 : Implantation sur l’ensemble du territoire

Après la seconde guerre mondiale, la reconstruction et la mécanisation de l’agriculture exigent des moyens de financements importants.
Afin de collecter l’épargne populaire, le crédit agricole ouvrira de nombreuses agences sur tout le territoire, villes et campagne, et deviendra ainsi un acteur majeur dans le financement de l’économie.

Le tournant décisif des années 70

Des évolutions juridiques

Extension des compétences et des clientèles

Au cours des années 70, le crédit agricole acquiert une compétence universelle, il est alors habilité à vendre  tous les produits bancaires à toutes les clientèles, particuliers, entreprises, au même titre que les banques commerciales,
La loi bancaire de 1984 parachèvera définitivement cette évolution.

Désétatisation de la caisse nationale

En 1988, la caisse nationale est rachetée à l’Etat par les caisses régionales : de modèle hybride, le crédit agricole devient entièrement mutualiste

Une expansion tous azimuts

Création de filiales spécialisées comme Prédica dans l’assurance …

Rachats d’établissements bancaires : Indo suez en 1996, principale banque d’affaires française, Sofinco en 1999  crédit à la consommation, credit lyonnais en 2003, banque de proximité …

Internationalisation : avec l’ouverture d’une filiale à Chicago en 1979, puis en Égypte, Ukraine, Serbie, Grèce, Italie et Portugal …

L’introduction en Bourse

En 2001, la caisse nationale est transformée en SA, entre en Bourse sous le nom de Crédit Agricole SA (CASA).
Cependant, la banque gardera son statut de mutuelle, puisque 56% du capital reste la propriété des caisses régionales et donc des sociétaires-clients.

Un nouveau modèle hybride est créé, entre société mutuelle et société capitaliste

La crise financière et son  impact 2008/2012

Le crédit agricole paiera le prix fort de sa stratégie d’expansion, car dés 2008, il sera contraint de vendre son patrimoine, en particulier des filiales, pour reconstituer ses capitaux. En outre, il se désengagera, pour l’euro symbolique, de ses filiales grecque et bulgare perdant ainsi les investissements réalisés.
L’impact sur les résultats se fera ressentir à partir de 2011 et culminera en 2012 avec une perte de 6 milliards  €.
D’autres cessions auront lieu, et les comptes seront de nouveau à l’équilibre en 2013.

Gouvernance et stratégie dans la période actuelle

Une taille gigantesque

Une forte implantation en France, avec un quasi monopole dans le monde agricole, et une présence dans 50 pays au monde
Le groupe est le premier bancassureur en Europe, premier gestionnaire d’actifs en Europe, deuxième acteur mondial en financement vert, et troisième acteur européen pour le crédit à la consommation.

Une organisation restée mutualiste

Les 2 471 caisses locales sont à la base du Crédit agricole. Elles appartiennent aux 9,3 millions de clients sociétaires . c’est le principe de gouvernance coopératif.

Les caisses locales détiennent l’essentiel du capital des 39 caisses régionales.

Et les caisses régionales détiennent 56% du capital de Credit agricole SA

Selon les règle de la gouvernance mutualiste, le président du conseil d’administration est élu et un ou plusieurs directeurs généraux sont désignés.

Avec des sociétaires sans pouvoir réel

Un nombre trop important

Neuf millions de sociétaires sont détenteurs du capital et donc censés participer aux décisions, selon le principe mutualiste « un homme, une voix ».
Mais aucun d’entre eux n’a le pouvoir de peser sur la stratégie ni de sanctionner la dizaine de dirigeants installés au sommet.

Un  empilement des structures

Avec la superposition de trois structures, locales, régionales et nationale et la complexité de leurs relations, le lien entre le premier échelon coopératif et les dirigeants nationaux est d’une grande opacité.

Et une faible motivation

La présence aux AG des caisses locales reste faible , environ 6% des sociétaires y participent.

Et des dirigeants tout puissants

Formés à la stratégie capitaliste

Les objectifs des dirigeants, figurant dans  les  documents de référence, sont explicites :  « maitrise des charges », rentabilité et cours de l’action en Bourse.
Ces dirigeants occultent  le caractère mutualiste de la banque dont le seul but devrait être l’optimisation du service rendu au client sociétaire.

Très attentifs à leur rémunération

Depuis 2010 au moins  et y compris pendant les années déficitaires, 2011 et 2012, les rémunérations des dirigeants ont été particulièrement élevés et peu compatibles avec le principe de solidarité mutualiste.
Directeur Général (un seul)  :  entre 1,5 et 2,2 millions €  selon les années.
Directeurs généraux délégués (de un à quatre) : environ 1 million € par an .
Président de Conseil d’administration (un seul) : environ 500 000 € par an.

Rappelons que les rémunérations des dirigeants des entreprises publiques sont plafonnés à 450 000 € par an.

Il aurait été plus décent que des dirigeants de mutuelle s’alignent sur cette règle, d’autant que les difficultés actuelles de bon nombre d’agriculteurs, aux conséquences parfois dramatiques, rendent ce niveau de rémunération particulièrement choquant.

Des salariés sous pression

L’obsession du cours de l’action en Bourse, a comme conséquence directe, une forte pression exercée sur la productivité des salariés.

Il suffit d’analyser  les évolutions sur l’activité et de la rentabilité (ensemble du Groupe)  au cours des 4 dernières années (2016/2013)   pour s’en convaincre :

Recettes (produit net bancaire) : + 0,9 milliard d’euros  (+7%)
Résultat : +  1 milliard euro (+41%).
Effectif : – 4700 salariés (-6%), (dont 2308 en France et 2391 à l’étranger)

La croissance de 7% de  l’activité s’est effectuée avec un effectif en baisse de 6%, générant ainsi une hausse de 41% du bénéfice.

Est-ce pour les sociétaires une amélioration du service rendu ? On peut en douter.
Quant aux salariés, la détérioration de leurs conditions de travail ne fait pas de doute.

Et des pratiques bancaires peu éthiques

De mauvais classements (selon Wikipedia)

Des classements effectués par diverses associations mettent le crédit agricole en mauvaise posture pour le bilan carbone (2010), pour la satisfaction des clients (2010), pour le financement de l’industrie nucléaire. En 2014, le prix Pinochio lui a même été décerné pour avoir « mené la politique la plus agressive en termes d’appropriation, de surexploitation ou de destruction des ressources naturelles »,……

L’affaire des Panama Papers

L’ enquête sur le scandale des « Panama Papers », a révélé que  le crédit agricole
« a administré 1 129 sociétés extraterritoriales via Mossack Fonseca pour le compte de ses clients »

Et la Direction du Groupe reconnaît implicitement les faits en affirmant que cette activité a cessé :

 «La banque privée du Crédit Agricole ne crée ni n’administre de structures dites offshore pour ses clients. Cette activité a été progressivement arrêtée et a cessé de manière définitive en 2015»

L’affaire du « Dakota Access Pipeline »

Le Groupe participe au financement (120 millions de dollars) d’un projet d’oléoduc « Dakota Access Pipeline » au Canada. Or cette infrastructure traverserait la réserve de Standing Rox ou vivent les Sioux et menacerait leurs sites culturels ancestraux et les réserves d’eau. De nombreuses associations dénoncent cette atteinte aux droits de l’homme.
La réponse du Credit agricole sur son site est particulièrement ambiguë, comme le constate l’association «Les Amis de la Terre»

« Crédit Agricole tente de renverser la responsabilité mais ne dupe personne : la banque, comme toutes les autres, a failli à ses devoirs en finançant le Dakota Access Pipeline »

Un siècle après sa création, il ne reste plus grand chose de l’esprit  coopératif et mutualiste, le vent du libéralisme et de l’argent roi a tout emporté au détriment des sociétaires, des salariés et de l’éthique.

Sources

Documents de référence 2010 à 2016
Site capital.fr : article « une banque mutualiste, c’est quoi ? » mars 2016, Michèle Auteuil
Site : Cbanque, article » les banques mutualistes » du 16 mai 2017
AGEFI hebdo mars 2015: article « des sociétaires de banque mutualiste sans réelle influence » Sylvie Guyony
Article Wikipédia sur le Crédit agricole
Revue d’économie financière de mars 2002 : article « L’avenir des institutions financières »
Revue mensuelle de l’association des anciens élèves de l’école polytechnique décembre 2013 : article » les banques coopératives, un modèle pour l’avenir » E. Pfimlin

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Commentaires

L'ours des P.O. dit :

Bonjour (depuis Strasbourg)!

Toujours aussi agréable et intéressant de vous lire: c’est clair (pas besoin d’avoir fait math sup!).
Le niveau de rémunération est effarant. Moi, il me révolte!
La pression psychologique sur le personnel comme gestion de ressources (mot bien adapté à ce monde dans lequel tout est marchandise et doit rapporter) humaines semble se généraliser. La fille d’un ami vient finalement de quitter une banque suite à la fusion de celle d’Alsace avec une autre pour couvrir la nouvelle région grand est en négociant son départ et deux de formation!
Il semblerait que la Banque Postale soit aussi systémique, et vu comment elle traite les fidèles clients dont je fais partie, j’ai commencé à la quitter pour la NEF.

Bonne continuation,