NEXTER 2015 ET L’ARMEMENT PRIVATISE

Victoire écrasante de l'idéologie libérale sur les objectifs de paix et de sécurité (publié janv. 2017)

Le 1er janvier 2016, l’ industrie française d’armement, Nexter était privatisée, mise sous contrôle d’une société  étrangère. Cette cession d’activité, stratégique pour la Nation, s’est effectuée, bien étrangement,  en toute discrétion.

Nexter, héritière des manufactures et arsenaux, détient des savoir-faire clefs de la filière de la défense terrestre en France et ce transfert au privé constitue une véritable perte de maitrise des moyens et des ventes d’armes dans le monde.

Les résultats de Nexter sont très largement positifs, et les dividendes étaient versés, jusqu’en 2015, à l’Etat, actionnaire unique, la perte de recettes sera conséquente.

Le choix des Pays Bas pour la localisation de la Holding (Honosthor)  révèle une stratégie d’optimisation fiscale contre l’intérêt national.
Enfin si l’État français exerce encore un pouvoir de contrôle  avec 50% des parts de  Honosthor,  il ne s’est engagé à les conserver que dans une limite de 5 ans. Au-delà …. ?Nexter01
Tout a commencé en 2006, par un démantèlement du secteur public d’armement et la création du groupe Nexter. L’État français en restait, cependant, l’actionnaire unique.

Mais  la stratégie du groupe s’orientera progressivement vers la seule logique du profit,  avec la chasse aux contrats lucratifs à l’étranger. Au cours des trois dernières années, le chiffre d’affaires réalisé hors de France a  triplé. Ainsi en 2015,  le groupe  Nexter exportait  65% de sa production, possédait des succursales chez ses clients privilégiés, Arabie Saoudite et Emirats Arabes Unis, et des filiales de commercialisation dans d’autres pays.

L’efficacité de cette stratégie se manifeste par un niveau élevé de  rentabilité  et de généreuses distributions de dividendes.

Les conditions de la privatisation étaient remplies, et la lutte contre le terrorisme remisée au magasin des accessoires.

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2006/2013 – Création et vie de Nexter

C’est au terme d’un vaste plan de restructuration de l’armement, comprenant fermeture de sites et réduction drastique des effectifs, que Nexter fut constituée en décembre 2006.
Héritière des anciennes manufactures d’armes et des arsenaux, Nexter sera, alors, organisée en  3 pôles : Système pour l’artillerie, Munitions pour les munitions de moyen et gros calibre, Équipements  pour l’électronique, l’optique …(Pour plus de détails, voir  notre article 2014) )

Dés la seconde année d’activité, 2008, le chiffre d’affaires sera de 580 millions €, dégageant  une rentabilité élevée. La progression des ventes se poursuivra pour atteindre un montant de  787 millions € en 2013.

2014 – Un tournant stratégique

A partir de 2013/2014, l’objectif n’est plus de satisfaire les besoins du marché français en matière de défense, mais d’assurer une croissance à grande vitesse par une implantation  sur le marché mondial.

De nouveaux moyens mis en œuvre

– Acquisitions de sociétés : SNPE  en France, Mecar en Belgique et Simmel Difesa en Italie.
– Implantations à l’étranger avec l’ouverture de succursales auprès des clients privilégiés en Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis et de filiales de commercialisation en Inde, en Espagne et au Canada.

Nexter Systems, implantée dans divers territoires, avec dix sites en France et trois à l’étranger, regroupe 3 500 personnes, sans compter les sous-traitants, coopérants et équipementiers.(déclaration du PDG de Nexter à la commission AN 2 mars 2016)

Aux effets « explosifs » sur  les ventes à l’étranger

Entre 2013 et 2015, la part du chiffre d’affaires à l’export est passée de 24% à 65% du total, propulsée par les ventes dans les Pays d’Afrique et du Moyen Orient, en  augmentation  de 505 millions € sur cette même période.

Aux conséquences spectaculaires  sur la rentabilité

La progression des ventes se répercute dans les résultats, en hausse de 25% , donnant lieu à de généreuses distributions de dividendes :  40 millions € en 2014 et 118 millions € en 2015 pour un capital investi de 107 millions €

Dans un contexte mondial de concurrence effrénée

En 2015, sur les 100 premières entreprises mondiales d’armement, les Etats Unis se taillent la part du lion avec 59% du chiffre d’affaires, suivi par la Grande Bretagne avec 12%, puis la Russie avec 6% et la France avec 5%.
Cinq entreprises françaises sont classées parmi les 100 premières entreprises mondiales d’armement : Thales, Safran, DCNS, Dassault, Nexter.
Trois de ces entreprises sont déjà à capitaux privés, mais seules Nexter et DCNS ont une activité à 100% dans l’armement. En outre l’activité de Nexter présente des « atouts majeurs » :

 « Elle détient l’ensemble des savoir-faire clefs de la filière de la défense terrestre en France. Elle est la seule société industrielle française à avoir la capacité d’intégration de sous-systèmes et d’éléments liés aux blindés de combat terrestre, tant au niveau de la conception que de la fabrication. De plus, elle maîtrise les sous-ensembles qui constituent ce système de combat : les caisses et leur blindage, particulièrement nécessaires à la protection des soldats, les systèmes d’armes complets – armements, tourelles, canons, munitions – et les sous-systèmes électroniques embarqués servant à la conduite des véhicules, à la communication sur le champ de bataille et, bien entendu, au combat. » (déclaration du PDG de Nexter à la commission AN 2 mars 2016)

2016 – Privatisation de Nexter

Les conditions et les raisons officielles

Rapprochement avec un autre groupe européen

La privatisation passera par la conclusion d’une alliance avec la société  privée  allemande Krauss-Maffei Wegmann (KMW), en vue de créer un groupe privé européen d’armement : KNDS.

Principales raisons invoquées

Une harmonisation européenne serait indispensable pour faire  face aux menaces  actuelles et survivre sur un marché très concurrentiel.
KMW a une production la fois similaire et complémentaire, est  en bonne santé, de taille comparable, ce qui excluerait tout rapport de  domination.

Les étapes de la  procédure

2014- Début des négociations

avec  la  famille allemande Bode Wegmann, propriétaire de l’entreprise privée KMW, afin de déterminer les conditions du « mariage ».

Juillet 2015 – Signature d’un contrat entre les deux sociétés

« Munich/Versailles, le 29 juillet 2015 –Nexter Systems et Krauss-Maffei Wegmann, deux des principaux leaders européens de la défense terrestre, ont scellé aujourd’hui leur alliance annoncée il y a un an… » selon le communiqué de presse.

Novembre 2015 – Décret autorisant la privatisation

Décret n° 2015-1483 du 16 novembre 2015 autorisant le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Nexter Systems SA (voir l’intégralité du texte dans notre article 2014)

Rappelons que ce décret intervient, de manière indécente, en pleine période de deuil national, suite aux attentats du 13 novembre.

Les principaux points  de l’accord

Groupe KNDS , holding et filiales

Après le transfert de la totalité des actions de Nexter et de KMW  à une société Holding (Honosthor) créée pour l’occasion, Nexter et KMW deviennent filiales de Honosthor. Ces trois entreprises constituent un nouveau groupe européen dénommé KNDS.

Les actionnaires de Honosthor sont, à parité,  l’Etat français et  la famille Bode Wegmann ( 27 membres).
Cependant, l’Etat français bénéficie d’une action spécifique (Golden Share) qui lui donne droit de veto en cas de projet de modification concernant les activités armes et munitions.

Siège social au Pays Bas :

Un choix pour cause de neutralité ou de fiscalité ?

Selon le président de Nexter
« Le choix du siège – qui s’est finalement porté sur Amsterdam, dans un pays européen qui n’est ni l’Allemagne ni la France et qui présente l’avantage d’une certaine neutralité fiscale. » (Déclaration du 2 mars 2016 commission assemblée nationale)

Sur le site du cabinet PWC NL
« Les Pays-Bas ont un régime fiscal très favorable pour les sociétés étrangères. Il n’y a pas de retenue à la source sur les intérêts et les redevances, et une exonération totale (jusqu’à un taux égal à 0) ou une exonération partielle des retenues à la source sur les dividendes s’applique habituellement aux dividendes versés à un actionnaire français. »

Et précisons que le cabinet PWC exerce la mission de commissaire aux comptes chez Nexter !!!

Un engagement d’une durée limitée

Pendant une durée de 5 ans, les actionnaires s’engagent à conserver leurs actions. Au-delà, il pourrait bien y avoir d’autres transformations juridiques, fusion, introduction en Bourse … ?

Les principales critiques

PERTE DE SOUVERAINETE NATIONALE SUR LES VENTES D’ARMEMENT

De l’aveu même de son PDG, Nexter est un maillon clé de la filière de l’armement (voir déclaration ci-dessus ). Sa cession au privé risque bien d’entrainer  une course aux contrats juteux ,  lourde de conséquences sur les conflits, la sécurité et la paix dans le monde.

Une crainte exprimée par Philippe Meunier, député LR, dans une question au président de Nexter :

« Selon vous, le rapprochement de Nexter et KMW nous rendra plus forts. Permettez-moi de souligner une différence importante : les Allemands conservent Rheinmetall alors que nous n’avons que Nexter qui fusionnera à terme. Autrement dit, ils garderont leur souveraineté alors que nous, nous la perdrons. » ( Déclaration du 2 mars 2016 commission assemblée nationale)

PRÉJUDICE POUR LE CONTRIBUABLE FRANÇAIS

Les conditions financières de la transaction ne sont pas connues.
Cependant Nexter a coûté à l’Etat, donc au contribuable,  4,5 milliards € lors de la restructuration de GIAT et de la création de Nexter. Les dividendes versés sur 10 ans n’ont pas compensé ce coût, d’autant que l’État français a été le principal client.

 QUESTIONS SUR L’ÉTHIQUE ET LES CLIENTS DE KMW

L’éthique de KMW a été ternie en 2014, (article des Echos du 1er juillet 2014)

 « La société fait l’objet d’une enquête de la justice grecque, qui l’accuse d’avoir versé des pots-de-vin dans le cadre de sa livraison de 170 chars à la Grèce pour 1,7 milliard d’euros au début des années 2000»

Et les  clients importants de KMW sont le Qatar et l’Arabie saoudite.

DISCRETION BIEN SUSPECTE

Les documents financiers ont disparu du site de Nexter.
Les comptes consolidés 2015 ne sont accessibles que sur le site d’Infogreffe.
En bas de chaque page de ces comptes consultables par tous (moyennant 11€), est inscrite  la mention suivante :

«Il est rappelé aux Administrateurs que les présentes informations fournies par le Président du Conseil d’Administration sont strictement confidentielles (article L225-37 du Code du Commerce)»

Les  commissaires aux comptes sont KPMG, Mazars et PWC , tous trois ont été épinglés dans « Le Canard Enchainé »  (voir notre article sur les experts comptables)

ET LES INQUIETUDES SUR LES CONSEQUENCES DE CETTE PRIVATISATION NE SONT MALHEUREUSEMENT QUE TROP LEGITIMES

Sources

Documents de référence 2011 et 2014 de Nexter
Comptes consolidés Nexter 2015
Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale : rapports du 14 janvier 2015 et du 2 mars 2016
JORF n°0266 du 17 novembre 2015 page 21418
Journal les Echos du 1/7/2014
Magazine américain défense nexw TOP 100 for 2016

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Commentaires

L'ours des P.o. dit :

Articles toujours aussi intéressant. On ne peut que se poser la question suivante: comment espérer un monde en paix, ou ne serait-ce qu’une forte diminution des conflits armés, si les Etats privatisent la fabrication des armes qui sont sensées leur permettre de se défendre sachant que l’objectif de telles entreprise privée est de faire le plus de bénéfice possible, et donc de vendre le plus d’armes possible, cela n’incitera-t-il pas à générer un maximum de conflits?
Ce qui me fait repenser à ça: https://fr.wikipedia.org/wiki/Georgia_Guidestones

Allez, bien que tout cela me donne envie de ……, je vous souhaite une année 2017 meilleure que les précédentes.