RICCOBONO

Des imprimeries de la presse nationale au cœur d’un scandale d’évasion fiscale et l’histoire véridique de vrais faux jumeaux (publié janv. 2018)

Après avoir pendant longtemps assuré l’impression de leurs journaux en interne,  les directions d’organe de presse écrite décidèrent d’abandonner leur imprimerie et de privilégier le recours à des prestataires extérieurs.

Dés le début du siècle dernier, la famille Riccobono avait investi dans ce secteur, Adrien fut le premier de la dynastie avec le rachat d’une imprimerie à Draguignan. Puis, les générations se succédèrent dans la gestion de ce patrimoine professionnel familial.

A partir de la 4ème génération, des divergences, semble-t-il entre deux jumeaux, donneront naissance à deux groupes Riccobono.

Groupe Riccobono, héritier  de l’expérience familiale, continue à se développer tout en se diversifiant, mais reste  implanté dans le Var . Et les éventuels transferts de marges entre  filiales et Holding s’effectuent à l’intérieur du territoire national et ne lèsent pas la collectivité.

Toute autre est la stratégie de Riccobono Imprimeur.

Assuré actuellement du  quasi monopole de l’impression des journaux nationaux , le groupe a implanté des holdings au Luxembourg chargées de transférer les profits  vers ce paradis fiscal européen.

Cette pratique a été dévoilée lors de la menace de fermeture  de l’imprimerie MOP à Vitrolles. Les salariés et l’administrateur judiciaire ont dénoncé des facturations injustifiées, à l’origine des prétendues difficultés financières.

Par ailleurs, il existe d’autres éléments  troublants, comme cette filiale Classic Marine, chargée d’affrètement de navire et implantée au Luxembourg, ou ces 2 sociétés dites « inactives » basées l’une à Singapour, l’autre en Suisse.

Cette stratégie de Riccobono Imprimeur pourrait être assimilée à un détournement d’argent public, la presse bénéficie, en effet,  d’aides financières de l’Etat, utilisées, en partie, à financer les frais d’impression.

Jusqu’à quand l’impunité des dirigeants ?

 

 

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La marche vers l’externalisation des imprimeries

Durant des décennies les principaux journaux nationaux disposèrent de leur propre imprimerie, leur garantissant ainsi autonomie et indépendance.

Mais le développement de l’information numérique, la baisse des lecteurs et des recettes publicitaires amèneront les directions de journaux à externaliser l’impression, en fermant ou cédant  leurs imprimeries.

L’influent syndicat du livre CGT mettra tout en œuvre pour obtenir le maintien de l’impression sur le territoire national.
Dans le même temps, les Riccobono, une dynastie familiale à l’expérience centenaire dans ce secteur, se porteront acquéreurs des imprimeries.

L’histoire commence en 1900, avec le rachat par Adrien Riccobono d’une imprimerie à Draguignan.

En 1945, son petit-fils  Maurice héritera de l’entreprise familiale, créera un pôle édition, déménagera le Groupe au Muy (Var) , puis se lancera en 1975 dans l’ impression d’un journal national l’Aurore grâce au procédé du fac similé.

Au cours des années 80, ce sera au tour des deux fils jumeaux Jacques et Bernard, nés en 1951, de reprendre l’affaire.

Mais au vu des informations disponibles, il semblerait que des divergences profondes de stratégies opposent, alors, les jumeaux, et soient à l’origine de la constitution de deux groupes bien séparés.

Groupe Riccobono, Jacques & fils

Jacques perpétue la tradition familiale en restant implanté dans le Var, sous la houlette de son père Maurice et intègre dans les directions d’entreprise, la 5ème génération, Jean Damien et Stéphane.

L’activité se développe et se diversifie : impression, conseil en communication, communication digitale, média et espaces publicitaires.

En 2016, le chiffre d’affaires du groupe est de 25 millions €, avec un effectif de 200 salariés répartis sur trois sites de production et dix bureaux entre Uzès et Monaco.

La structure du groupe n’échappe pas aux pratiques actuelles des actionnaires : holdings et SCI facturent des services et des loyers aux entreprises de production pour transférer leurs marges.

L’empilage de sociétés aux fonctions identiques,  deux holdings pour regrouper une partie des sociétés, et l’absence de comptes consolidés rendent difficiles l’analyse de la situation économique et financière du groupe.
Mais si des transferts ont lieu entre les entreprises et les SCI et holdings, le résultat reste sur le territoire français (selon toutes les apparences).

Il en va tout autrement du Groupe constitué par Bernard, et aujourd’hui géré par son fils Guillaume.

Riccobono Imprimeur, Bernard &Guillaume

Comme indiqué sur le site officiel du Groupe, une très grande discrétion entoure la vie et le développement  de Riccobono Imprimeur.
Et seules les dates de création des différentes sociétés  permettent d’en reconstituer les principales étapes(sous toutes réserves).

Le développement en France

La première société holding, Riccobono Presse Investissement  est créée en 1988 à Baillargues dans l’Hérault. D’autres sociétés de conseils en tout genre et des SCI verront le jour à cette même adresse, toutes dirigées par un membre Riccobono : Bernard, toujours en activité, son fils Guillaume né en 1974, ainsi que 2 autres  membres (fils ?) Florent né en 1977 et Thomas en 1987.
Ces sociétés serviront à racheter ou à créer des imprimeries.

Avec ses dernières acquisitions, l’impression des journaux du Figaro et du Monde, ce Groupe détient un quasi monopole dans l’impression de la presse quotidienne nationale, de la presse gratuite, des journaux spécialisés et de certains journaux régionaux.

En 2018, selon son site officiel, ce Groupe possède 7 imprimeries en France réparties sur l’ensemble du territoire. Curieusement, l’imprimerie MOP de Vitrolles ne figure plus sur la liste, alors que la liquidation n’a pas été prononcée.

Le développement  hors de France

Deux  imprimeries sont implantées à l’étranger , l’une, Europrinter,  en Belgique et l’autre, Techprint, au Luxembourg.

Ainsi, en 2016, Riccobono Imprimeur a réalisé un chiffre d’affaires de 130 millions €, avec un effectif de 700 salariés.

Mais la principale caractéristique de ce Groupe réside dans la création de holdings au Luxembourg, pour pratiquer à grande échelle l’optimisation/évasion fiscale.

Une stratégie d’évasion fiscale

En 1993, Bernard crée « la société européenne d’investissement financier » (SEIF), une holding localisée au Luxembourg, à l’adresse de Techprint.
D’autres sociétés du même genre suivront, comme Kailoua en 2003, RGI investissement en 2011, SEP en 2014, dans quel but ? Semer la confusion ?

Le 14 juin 2017, l’objet social de SEIF est modifié. Est ce pour mettre  les statuts en conformité avec les pratiques du Groupe, en pleine affaire MOP àVitrolles (voir ci-dessous) ?

Au libellé ancien,

« la société a pour objet la prise de participation sous quelque forme que ce soit, dans d’autres entreprises luxembourgeoises ou étrangères, dans des sociétés d’imprimerie, de presse ou immobilière ainsi que la gestion et la mise en valeur de ces participations ».

Il est rajouté

La société a également pour objet, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imprimerie et en général de tout matériel, à l’exception des armes.
La société a aussi pour objet le conseil en gestion et en organisation dans les domaines de l’imprimerie et de l’animation des filiales et de manière générale toute activité se rapportant à l’activité de conseil économique »

Ainsi, ouvertement, par le biais des locations de matériels, de prestations de conseils, mais aussi par la facturation d intérêts sur des prêts, la SEIF officialise le détournement des marges des imprimeries françaises.

Une nouvelle manœuvre est effectuée en 2017, avec la scission de SEIF pour donner le jour à une autre holding, Médiaprint Europe SA. Dans quel but ?

Les comptes publics de SEIF font apparaître une accumulation de bénéfices non distribués de 46 millions €, jusqu’en 2015, auquel se rajoute un résultat de 64 millions € en 2016. Attention, ce résultat peut simplement être une écriture comptable liée à l’opération de scission.
Quant aux dividendes distribués, ils pourraient être  de l’ordre de 17 millions € sur les 6 dernières années, selon un article d’Alterpresse du 22 juin 2017.

D’autres sociétés  bien douteuses.

Le cas d’une société de gestion de navires

Classic Marine,créée en 2002, est une filiale à 99,5% de SEIF; elle est aussi située au Luxembourg à l’adresse de Techprint, et dirigée par Bernard.

Dont l’objet déclaré est

« l’achat, la vente, l’affrètement, le frètement et la gestion de navires de mer »

Qui cumule plus de 3 millions € de déficits en 2016

On peut s’interroger sur l’opportunité d’un tel investissement générateur de pertes, dans un groupe spécialisé dans l’impression : Yacht personnel de la famille Riccobono Bernard ?

Le cas de deux sociétés  basées dans d’autres paradis fiscaux

Deux sociétés, filiales de la SEIF sont basées, l’une à Singapour (SEIF Asia Limited), l’autre en Suisse (PEFJAR SA), et déclarées inactives. Des sociétés en sommeil pour des transferts ponctuels de fond  vers Singapour et la Suisse ?

Les événements emblématiques de MOP à Vitrolles

L’imprimerie Méditerranée Offset Presse (MOP), créée en 1981 à Vitrolles,  a pour actuel dirigeant Guillaume, le fils de Bernard et emploie 61 salariés en 2016.

En  2017, elle est mise en redressement judiciaire, sous des prétextes fallacieux qui ne résistent pas à l’examen attentif des comptes.

Les prétendues difficultés financières paraissent servir de justification à une fermeture, décidée pour éliminer des salariés bien encombrants avec leur syndicat CGT.

Cependant, avec la participation active des salariés, de  l’administrateur judiciaire et l’écoute attentive du tribunal de commerce,  le détournement des marges vers le Luxembourg sera démontré. Le tribunal imposera un plan de continuation avec des mesures financières particulièrement drastiques pour les actionnaires.

Selon le site des professionnels de l’imprimerie « Caractère » qui fait état d’un échange avec l’administrateur judiciaire Me Avazéri, le tribunal de commerce  aurait imposé les mesures suivantes :

  • Une intégration au capital social des dettes au Groupe d’un montant de 4,7 millions €, une opération qui représente concrètement une économie annuelle de 100 000 € d’intérêts, auparavant versés au Luxembourg
  • Un abandon de facturation de location pour l’une des 2 rotatives soit une économie annuelle de 350 000 €, auparavant versé au Luxembourg. (Depuis des années la holding luxembourgeoise, propriétaire des rotatives de Vitrolles lui facturait une location. Selon le calcul d’un syndicaliste de MOP, pour un coût d’achat de la rotative de 3,9 millions €, MOP aurait déjà payé 17 millions € de location au Luxembourg).
  • Une baisse de 300 000 € des frais de gestion facturés par le Luxembourg
  • Un apport de 1 million € supplémentaire pour alimenter la trésorerie
  • Le maintien des 60 salariés en CDI et la titularisation de 4 intérimaires.

Ces consignes constituent une reconnaissance explicite des malversations du groupe Riccobono Imprimeur et ce n’est peut être que la partie visible de l’iceberg Riccobono imprimeur

Pour conclure, rappelons que la presse bénéficie d’aides publiques de l’Etat, un  taux réduit de TVA, des dégrèvements d’impôts pour les sociétés de presse et pour les donateurs .
Ce détournement de marges des imprimeries vers le Luxembourg et vers un possible enrichissement personnel  constitue encore une fois une utilisation frauduleuse de fonds publics, en toute impunité !

Sources

Sites internet Groupe Riccobono et Riccobono Imprimeur
Modification de l’objet SEIF, Luxembourg
Comptes annuels 2014,2015, 2016 SEIF Luxembourg
Compte annuel 2016 RGI Investissement SA Luxembourg
Compte annuel 2016 Kailoua Luxembourg
Compte annuel 2016 SEP Luxembourg
Comptes annuels 2016 Classic Marine, Luxembourg
Compte annuel 2016 Techprint luxembourg
Comptes annuels MOP Vitrolles 2010 à 2016
Comptes annuels 2016 des 7 imprimeries France Riccobono Imprimeur
Comptes annuels 2016 des holdings et filiales de Groupe Riccobono (PSI, CMPC, Riccobono offset presse ….)
Articles de presse : L’Alterpresse (22/06/2017) Le Ravi (7/10/2017) l’Age de Faire (nov.2017)
Site des professionnels de l’imprimé « Caractère » (article du 23 octobre 2017

 

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Commentaires

Marie dit :

Ces aides de l’Etat, à la presse (voir ce qui est versé à Gala et ce qui est versé au Monde Diplomatique), à Dassault Aviation, etc…qui servent à quoi ?
Et tout ce gaspillage avec les grands travaux, les J.O., etc…alors qu’on nous demande (service public, là où devrait aller l’argent) de faire des économies.
A force de dénoncer, les gens finiront bien par entendre, non ? ou sont-ils endormis à ce point?