Collaborateurs

Pour masquer le lien de subordination du salarié (publié fév. 2016)

A longueur de documents d’entreprise ou de discours patronal, le terme « collaborateurs » est utilisé à seule fin d’occulter  la principale caractéristique du statut de salarié, le lien de subordination et, en conséquence, de faire apparaître comme « abusive » la protection juridique du salarié, contrepartie pourtant  indispensable du lien de subordination.

Utilisation idéologique du terme « collaborateurs » : Des exemples

Ecoutons  Gérard Filoche,  Inspecteur du Travail, nous raconter un entretien avec une responsable d’entreprise

La DRH : – « Bonjour Monsieur l’inspecteur, je vous présente mes collaborateurs… »
• – Ah, vous avez des gens extérieurs à l’entreprise, ils ne sont pas déclarés ?
• – Mais non, bien sûr, ils sont salariés. Ici, dans l’entreprise, bien sûr
• – Pourquoi vous les appelez collaborateurs ?
• – Mais on les appelle comme ça, ce sont des collaborateurs…
• – Mais, Madame, vous savez ce qui caractérise un contrat de travail, c’est un « lien de subordination juridique permanente ». Je parle en droit. Tout salarié est « subordonné ». On ne peut à la fois, être « collaborateur » et « subordonné ».
• – Monsieur l’Inspecteur on les appelle ainsi, par  respect, pour les associer…
• – Madame, le mot « collaborateur » n’existe pas une seule fois dans le Code du travail, restez donc sur un plan juridique, c’est clair : un « salarié » !
• – Mais enfin monsieur l’Inspecteur, on a le droit d’appeler nos… nos collaborateurs comme on veut.
• – Madame, vous faites de l’idéologie. S’il vous plait, pas avec moi.
• – Comment ça ?
• – C’est de l’idéologie que d’appeler un salarié « collaborateur ». Ça peut faire croire, qu’il est sur un pied d’égalité avec vous dans son contrat mais ce n’est pas le cas. C’est parce qu’il est subordonné qu’il a des droits.  Le code du travail, c’est la contrepartie à la subordination. Supprimer la notion de subordination, ça enlève la contrepartie. Ça fait croire que dans l’entreprise, tous ont le même « challenge », le même « défi », sont dans le même bateau. Jusqu’à ce que le patron parte avec le bateau et que le salarié reste amarré sur le quai au Pôle emploi, et il s’aperçoit alors qu’il n’était pas collaborateur mais bel et bien subordonné…Le patron et le salarié n’ont pas les mêmes intérêts. L’un cherche à vendre sa force de travail le plus cher possible, l’autre veut la lui payer le moins cher possible.
• – Là, monsieur l’inspecteur, c’est vous qui faites de l’idéologie !
• – Vous croyez ? Bon alors, je propose d’arrêter tous les deux, et pour nous départager, de nous en tenir au droit, au seul droit, donc on parle de « salariés » désormais. Uniquement.
• – Bien mais c’est dommage, j’utilise « collaborateur » parce que c’est valorisant…
• – C’est vous qui le dites ! Vous ne vous demandez pas pourquoi on n’a pas mis le mot « collaborateur » en 1945-46 dans le code du travail ?
• – C’est une question de génération…On n’a pas le même sens pour le même mot…
• – C’est certain. « Collaborateur », c’est marqué d’infamie. On n’a donc pas la même approche. Allez, n’en parlons plus, mais encore une fois, soyez correcte : appelez vos salariés des salariés…

Gérard Filoche
( www.filoche.net, extrait publié avec son aimable autorisation)

Complétons avec des exemples choisis parmi nos analyses. (Sources : documents de référence)

Groupe ACCOR

«  Le service et la satisfaction du client sont au cœur du métier de Accor. La qualité, l’énergie et la motivation des collaborateurs sont un maillon clé de la chaine de la création de valeur »

Groupe CARREFOUR

« Deuxième distributeur mondial et premier en Europe avec plus de 10 800 magasins, Carrefour emploie 381 227 collaborateurs dans le monde »

Groupe EIFFAGE

Un double langage : le terme salarié n’est utilisé que lorsqu’il s’agit de vanter le modèle d’actionnariat salarié, sinon ce  sont des collaborateurs.

« Eiffage se distingue aussi par son actionnariat salarié, un modèle inégalé en Europe, avec près de 61 000 salariés et anciens salariés qui détiennent 25,3 % du capital…..

Elle veille, avec l’ensemble de ses collaborateurs, à apporter à ses clients une réponse sur-mesure et un suivi adapté pour chaque projet. »

Groupe HERMES

La palme de l’enfumage lui revient : les ouvrier(e)s fabricant sacs et autres objets de maroquinerie sont qualifiés d’artisans.

« Aujourd’hui, leur fabrication est assurée par plus de 2 500 artisans selliers-maroquiniers répartis au sein de quatorze manufactures situées à Paris, à Pantin et dans diverses régions de France »

Et, précisons-le, il s’agit bien de salariés ne disposant d’aucune autonomie ni dans le travail ni dans la détermination de la rémunération.

Définitions des termes collaborateurs, artisans et salariés

Définition du mot « collaborateur », selon le dictionnaire Larousse

– Personne qui travaille avec quelqu’un d’autre à une entreprise commune.
– Personne qui collabore avec un ennemi occupant le territoire national.
– Français qui collaborait avec les Allemands sous l’Occupation (1940-1944)

Dans le premier sens, il s’agit de personnes qui travaillent ensemble, sur un pied d’égalité, comme le sous-entend « entreprise commune ».
On pourrait faire de l’humour avec les deuxième et troisième définitions, le collaborateur serait un « traitre » de classe, pactisant avec un patron qui occuperait le territoire de l’entreprise( !!!)

Définition du mot « artisan », selon le dictionnaire Larousse

« Travailleur indépendant, qui justifie d’une qualification professionnelle et d’une immatriculation au répertoire des métiers pour l’exercice, à son propre compte, d’une activité manuelle. »

L’artisan est par nature un travailleur indépendant, immatriculé comme tel , exerçant pour son propre compte. Les salariés d’HERMES ne répondent en rien à cette définition.

Définition du mot « salarié », selon le dictionnaire Larousse

« Personne qui perçoit un salaire dans le cadre d’un contrat de travail »

La cour de cassation est plus précise, affirmant l’existence d’un lien de subordination caractérisé par

 » l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions du travail « 

Cette  relation de subordination permanente  a pour contrepartie une protection juridique qui limite les pouvoirs de l’employeur. Le code du travail donne aux  salariés des droits sans lesquels ils deviendraient taillables et corvéables à merci.

Les enjeux de l’enfumage

L’utilisation du terme collaborateur et encore plus celui d’artisan vise à occulter le lien de subordination et donc à justifier la remise en cause profonde du code du travail, et à éliminer toute protection des salariés, tout en maintenant une forte pression et un chantage permanent à l’emploi.
Le but ultime est de diminuer la rémunération du travail pour, une fois de plus, augmenter celle du capital à travers les dividendes, les plus values ..

Sources

Site internet www.filoche.net
Documents de référence : ACCOR, CARREFOUR, EIFFAGE, HERMES
Dictionnaires Larousse et Wikipedia

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Commentaires

Marie dit :

J’ai bien ri au dialogue avec la DRH. Enfin, c’est encore d’actualité…jusqu’à quand ?
Je voulais répondre sur la notion d’infamie, de traîtrise, rattachée à « collaborateur ». C’est toujours d’actualité: avec Mahmoud Abbas, par ex. Mais G. Filoche m’a précédée…
Il faut toujours être précis avec le vocabulaire utilisé.
Il est notoire que l’évolution du vocabulaire veut/cache des réalités. Ex: « chââârges sociales » pour cotisations sociales, « technicien de surface » pour celui qui fait le ménage etc…
Dans un sens, toujours favorable aux mêmes, directement ou indirectement.

Ferrero alain dit :

Comme dans le sport, il faut toujours revenir aux fodamentaux…..

L'ours des P.o. dit :

Excellent article, merci!Il faut appeler un chat, un chat, et un exploiteur, un exploiteur!