Eiffage

Sous le bel enrobé social, la froide réalité (publié sept 2015)

Avec Eiffage (BTP), on croyait rêver : les  salariés, pour leur très grande majorité, sont actionnaires du Groupe et les résultats, en constante  progression atteignent un niveau historique en 2014. Mais les apparences sont trompeuses les salariés restent très minoritaires dans l’actionnariat (28%), ne pèsent nullement sur les décisions et ne perçoivent que quelques miettes de dividendes, puisque leur part est partagée entre les 44 000 salariés actionnaires.
Et si on en doutait encore,  l’analyse des comptes traduit sans la moindre ambiguïté, les objectifs poursuivis par le Groupe Eiffage
Entre 2011 et 2014, le chiffre d’affaires a augmenté de 255 millions € et les frais de personnel ont diminué de 198 millions €, avec une réduction des effectifs de 2 800 salariés et une baisse de 0,5% du « coût moyen » d’un salarié.
Le résultat progresse pour atteindre un niveau « historique » en 2014, ce qui permet de présenter à l’actionnaire une hausse particulièrement attractive du bénéfice par action.Eiffage_01
Mais cela ne suffit pas, il faut encore améliorer le résultat et intensifier  la pression sur le travail par des discours alarmistes et des mesures drastiques :  non remplacement des départs de salariés,  fermeture  d’une petite filiale et  chantage à l’emploi dans une  filiale importante pour faire passer un « accord de maintien de l’emploi » contre baisse des salaires.
On est donc bien loin du « modèle vertueux » et du « Groupe exemplaire », tel que présenté dans les documents de référence.

 

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Quelques données sur  Eiffage : 3ème Groupe du BTP en France

Une vieille histoire gravée dans le patrimoine national : la Tour Eiffel
Un développement dans cinq  secteurs d’activité : Construction, Travaux Publics, Énergie, Métal, Concessions et Partenariat Public Privé
Une implantation essentiellement nationale et quelques développements à l’étranger, en Europe et au Sénégal
A fin 2013, des effectifs totaux de 67 000 salariés, dont 55 500 en France et 11 500 à l’étranger, répartis dans 597 entreprises

Un bel habillage social : 80% des salariés en France sont actionnaires

Selon le PDG Pierre BERGER

« L’actionnariat salarié fait partie de l’ADN du Groupe Eiffage. Je continuerai de promouvoir et de développer ce modèle vertueux, initié par Jean-François Roverato il y a plus de vingt ans, et de plus en plus souvent cité en exemple. Il a fait de nous un des plus grands groupes européens de BTP et de concessions, indépendant. Ce modèle fait notre force, celle d’un Groupe qui se développe, celle d’un Groupe exemplaire » (rapport annuel 2013)

Cette exception trouve son origine dans les difficultés de l’entreprise en 1990 qui ont conduit à utiliser la  procédure du RES : ce fut le plus important rachat d’une entreprise par ses salariés,

Mais dans les faits, cet avantage social exceptionnel rencontre de sérieuses limites.
En effet, les salariés ne représentent que 28% du total de l’actionnariat et  leur  grand nombre rend impossible  toute concertation pour infléchir les décisions des trois autres quarts des actionnaires.
Et le montant des dividendes perçus restent modestes, puisque 44 000 salariés doivent se partager un quart du dividende, soit  1/200 000e pour chacun. Pour 2013, sur les 105 millions € distribués, le montant attribué à chaque salarié actionnaire serait  en moyenne de 670€.

Il faut aussi souligner que cette image d’exemplarité sociale constitue surtout un puissant argument commercial : la clientèle du Groupe Eiffage est constituée pour près de moitié par des collectivités publiques, particulièrement sensibles aux critères sociaux

 Un développement  des ventes au cours de la dernière décennie

Au cours des dix dernières années, le chiffre d’affaires est en progression régulière pour s’établir à 14,3  milliards € en 2013.
Cependant, en 2014, le chiffre d’affaires est en léger repli, avec un montant de 14,0 milliards, soit une baisse de 300 millions € (-1,9%) sur un an.

Mais cette stagnation du chiffre d’affaires n’a aucune incidence sur le résultat de l’entreprise, bien au contraire,  il s’améliore, selon le document « Résultat annuel 2014 » :
« Hausse du résultat opérationnel courant à 1 347 M€ . Croissance  de la marge opérationnelle au niveau historique de 9,6 % du chiffre d’affaires », contre 9,2% en 2013 et …7,8% en 2010
Le résultat net final disponible pour l’actionnaire suit aussi cette même évolution puisqu’en 2014, il est de 275 millions € (+ 18 millions € par rapport à 2013)

Nette progression du taux de rentabilité et dégradation de la rémunération du travail

« Les résultats du Groupe progressent à nouveau en 2014 grâce à la bonne maîtrise de l’exécution de ses projets et à une gestion serrée des frais de structure dans les métiers où la baisse des volumes est importante, en particulier en France «  (Communiqué de presse février 2015)

Et la « gestion serrée des frais de structure » signifie, en langage clair, une diminution des frais de personnel, obtenue par la réduction des effectifs et la stagnation du « coût moyen » d’un salarié.

Entre 2011 et 2014, le chiffre d’affaires a augmenté de 255 millions € et les frais de personnel ont diminué de 198 millions €, avec 2800 salariés en moins et une baisse de 0,5% du coût moyen d’un salarié.

Pour l’actionnaire, c’est  une progression particulièrement attractive du bénéfice par action : de 2,67€ en 2010 à 3,10 € en 2014, ce qui représente un taux de rentabilité de 50% du capital investi.
Et si, au cours des 5 dernières années, le montant du dividende est toujours resté à 1,2 € par action, il représente, cependant, une rémunération de 18% du capital investi.
En outre les réserves engrangées restent toujours disponibles pour les actionnaires.
Mais cela ne suffit pas, il faut encore améliorer le résultat et intensifier  la pression sur le travail par des discours alarmistes et des mesures drastiques.

Discours alarmistes

Dans le compte rendu établi, par la CFE CGC et concernant la réunion du Comité de Groupe Eiffage du 3 décembre 2014

 » La situation économique en France de plus en plus dure ; Il y a un décrochement de la
commande en 2014 et qui se continuera en 2015 dans la route. EIFFAGE s’attend à des
années 2015 et 2016 très difficiles dans le BTP (baisse des commandes = baisse globale
des effectifs) »

Un grand écart avec le communiqué de presse de la Direction de février 2015
« Dans ces conditions, le Groupe anticipe un léger repli de son chiffre d’affaires en 2015 et une nouvelle augmentation de son résultat. »

Mesures drastiques : 2 exemples

Liquidation de Games Pyrénées SASU, petite filiale  d’Eiffage l

Cette entreprise d’installation de structures métalliques, chaudronnées et de tuyauteries, a été liquidée en février 2015 et les 38 salariés licenciés.
Totalement abandonnée par le Groupe Eiffage , il a fallu, le 16 février 2015, ce rappel à l’ordre du liquidateur judiciaire :

« Par jugement en date du 10/02/2015, le Tribunal de Commerce de PAU a prononcé la liquidation judiciaire de l’entreprise en référence et m’a désigné liquidateur judiciaire. J’ai noté que la Société GAME PYRENEES est une filiale du Groupe CLEMESSY, qui , lui-même, est une filiale du Groupe EIFFAGE. Ainsi, la GAME PYRENEES SASU fait partie de votre Groupe. Aussi, je vous prie de bien vouloir m’indiquer PAR RETOUR ET IMPERATIVEMENT AVANT LE 18/02/2015, la liste écrite des postes disponibles au sein de chacune des sociétés de votre groupe avec leur qualification précise »

Quant à l’origine des difficultés, la lecture des comptes laisse planer un doute.
De 2009 à 2013, on constate bien un déficit  d’exploitation d’un montant annuel quasi immuable de 700 milliers €
Mais sur les 2 dernières années (2011/2013), la progression de 1,1 million € du chiffre d’affaires n’a aucun impact sur le résultat, car, dans le même temps, les charges ont augmenté de 1,2 million € aggravant même le déficit.
Par contre, la  société mère Clemessy, elle,  se porte très bien, avec des bénéfices évoluant entre 16 et 21 millions €. Et sur les 2 dernières années (2011/2013), c’est le constat inverse à celui de Game Pyrénées : l’augmentation de 5 millions € de chiffre d’affaires se retrouve intégralement dans le résultat car il n’y a eu  aucune charge supplémentaire !!! Simple coïncidence ou relation de cause à effet ?

Dans la « République des Pyrénées du 10 février 2015 , la question est aussi posée

« ….cette société, filiale du groupe Eiffage via sa maison-mère Clemessy, employait encore 38 personnes comptant en moyenne 28 années d’ancienneté au sein de l’entreprise.
L’acte de liquidation est confié à Maître Legrand. Selon nos informations, il pourrait dans un bref délai solliciter l’intervention d’un juge-commissaire afin de vérifier qu’aucune malversation n’a été commise. »

Chantage à l’emploi chez Eiffage Construction Midi Pyrénées

Face à une baisse d’activité  en 2013 et 2014, la Direction de cette filiale a imposé, en 2014, l’ouverture de négociations avec les représentants syndicaux en vue de signer un accord de « maintien de l’emploi » pour les  388 salariés.
En contrepartie d’une stabilité de l’emploi, les salariés devraient accepter de travailler 37h30 payé 35h (la première proposition de la Direction était 42h payé 35h)
Si cet accord était refusé, la direction aurait, selon le délégué syndical CGT, menacé de licencier la moitié du personnel et de faire appel à des travailleurs low cost, dont le coût horaire serait de 7€, au lieu des 28€ des salariés français (Parisien du 9 octobre 2014)
Selon le même article, la Direction dément ce chantage mais réaffirme sa volonté de conclure cet accord, pour une durée minimum de 2 ans

L’analyse des comptes d’Eiffage Construction Pyrénées confirme la baisse du chiffre d’affaires en 2013 et 2014  et les déficits de 5 millions € en 2013 et 3,5 millions en 2014. La position de la Direction apparaît donc fondée.
Mais si le coût du travail peut être mis en cause pour l’année 2013 et 2014, c’est le coût faramineux du capital qui, entre 2003 et 2011 a mis l’entreprise dans l’incapacité de faire face aux difficultés.

Le capital investi dans cette société  est de 300 000 €. Entre 2003 et 2011 la maison mère  a prélevé, en dividendes, l’intégralité des bénéfices, soit une moyenne de 3,2 millions € par an, ce qui représente pour le capital investi un taux annuel de rémunération de 1000 % pendant au moins 9 ans.

Si le taux avait été « seulement » de 40% du montant investi, cette entreprise aurait des réserves de 28 millions € largement suffisantes pour affronter plusieurs années de déficit.
En outre, cette dégradation de l’activité reste circonscrite à une Région : en effet, selon le communiqué de presse de février 2015, le secteur de la construction  reste performant chez Eiffage
«  La Construction maintient une profitabilité toujours élevée (4,2 %). La commercialisation des logements est restée dynamique en France (3 231 unités pour 3 267 en 2013, année record) »
En conclusion, derrière le bel enrobé social se profile donc une gestion menée pour le seul intérêt des actionnaires, dont les trois quart, rappelons-le, ne sont pas salariés

Sources

  • Comptes financiers des filiales d’Eiffage
  • Rapport annuel 2013
  • Résultats annuel 2014
  • Communiqué de presse février 2015
  • Articles de presse
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