FAVI – Le laiton injecte 2014

Une entreprise "libérée" ? Pour le plus grand profit de ... (publié sept.2015)

La FAVI, (Favi-le laiton injecté), une fonderie située dans le nord de la France,  a suscité beaucoup de curiosité,  pour son management original et sa direction qualifiée d’« extraterrestre visionnaire ».

La chaîne FR3 Nord pas de Calais y a consacré, en 2009, une émission « Question de confiance » et de nombreux articles  ont vanté ce « modèle » d’entreprise fondée sur la confiance en la bonté de l’homme.

L’organisation de l’entreprise permettrait à chaque salarié, essentiellement des ouvriers, d’être pleinement autonome et responsable .Toutes les marques de hiérarchie ont été supprimées, pour mieux valoriser le travail direct de production. La liberté de chacun serait la garantie du bonheur de tous.

Mais derrière le discours sur la bonté de l’homme, se cache l’habituelle obsession de rentabilité pour les actionnaires

Les économies réalisées grâce à ce management permettent d’obtenir de substantielles marges dans un secteur d’activité pourtant contraignant, la sous-traitance pour les constructeurs automobiles.

Les très bons résultats de la FAVI sont, certes, en partie utilisés à l’investissement et au désendettement, ce qui est rassurant pour les salariés, mais surtout lucratif pour les actionnaires dont le patrimoine professionnel ne cesse ainsi de s’enrichir.

Mais la majeure partie du résultat est distribuée en dividendes aux actionnaires (non salariés), directement et indirectement, pour un montant particulièrement élevé  eu égard au capital investi.

On peut s’interroger sur l’homonymie des noms, et les principes affichés. C’est JJ Rousseau qui avait affirmé que l’homme était naturellement bon et le nom de la famille actionnaire à 80% de la FAVI est aussi Rousseau.

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Créée en 1957 , dans  le département de la Somme à Hallencourt, la FAVI est spécialisée dans la production des fourchettes pour boite de vitesse pour l’automobile et des rotors à cage cuivre pour l’industrie et les transports.

L’effectif est d’environ 400 salariés, essentiellement ouvriers et agents techniques

Philosophie du management

« Notre système repose avant tout sur deux valeurs judéo-chrétiennes : la bonté naturelle de l’homme et l’amour du client, égrène inlassablement Jean-François Zobrist à ses invités de passage. De là  découle l’absence de hiérarchie. Nous demandons aussi à nos salariés de respecter quatre commandements : la bonne foi, le bon sens, la bonne volonté et la bonne humeur » (interview du directeur paru dans l’Express décembre 2007)

Principes de l’organisation

L’entreprise est découpée en mini-usines , destinées chacune à servir un client : FIAT, Renault PSA ..et  gérées en totale autonomie par un collectif d’ouvriers.

Chaque équipe désigne pour 3 ans un leader, animateur et coordinateur du groupe, non doté de pouvoir hiérarchique, il doit convaincre, car chaque ouvrier organise  librement  son  travail.

De plus, la polyvalence permet d’éviter à chacun la monotonie de gestes répétitifs et l’absence de contrôle et de pointage rend chaque salarié responsable.

La créativité des ouvriers est stimulée par une prime de 1000 € remise à l’auteur de la meilleure invention du mois. Une fois par an, c’est une voiture qui est attribuée à celui dont l’invention a été jugée la plus digne d’intérêt.

La hiérarchie est réduite à un seul échelon : pas d’intermédiaire entre l’opérateur et le directeur. Le service administratif n’occupe que 5 employés, car la plupart des tâches de gestion, choix des fournisseurs,  plannings de production, expéditions  …est assurée en interne dans chaque mini usine.

Tous les symboles hiérarchiques, comme les voitures de fonction, ont disparu.

Cette organisation permet, en fait, de réaliser de substantielles économies mais assure-t-elle vraiment le bonheur des salariés ?

Les limites du système vues par les salariés (Question de confiance FR3)

L’autonomie est en fait très limitée et la transparence quasi inexistante

Selon une ouvrière  les cadences sont plus élevées qu’ailleurs, chacun devant produire  1800 pièces pendant 8 heures,  « je suis très  fatiguée en fin de journée » avoue-t-elle.

Un ouvrier déclare ignorer le montant des salaires de ses collègues, seuls ceux de l’intéressement et de la participation sont connus car identiques pour tous.

Les salariés de la FAVI ne sont nullement informés de la stratégie définie par les véritables propriétaires de l’usine  « la famille Rousseau », : au retour d’un voyage professionnel en Roumanie, des salariés expriment leur crainte de délocalisation et seul  leur Savoir Faire paraît les protéger d’un tel danger.

Ces mêmes inquiétudes sont formulées au moment de la crise de l’automobile fin 2008, avec la baisse des commandes. Les salariés n’ont aucune idée des marges de manœuvre de leur entreprise et des richesses accumulées au cours des décennies précédentes.

En outre, les contradictions du dirigeant visionnaire sont manifestes :   après avoir racheté un concurrent en Grande Bretagne, il l’a éliminé et mis  200 salariés au chômage. C’était, disait-il, pour d’assurer la pérennité de l’usine d’Hallencourt.

Enfin, l’absence totale de présence syndicale dans une entreprise de cette taille pose la question sur la nature des relations sociales .

Mais le véritable objectif de l’autogestion est clairement exprimé « Si on est humanistes, c’est aussi pour faire du fric », aime répéter Jean-François ­Zobrist, en indiquant de jolis gains de productivité de 3% par an depuis vingt ans.

Faire du fric pour qui ? Pour  l’entreprise, pour  le travail,  ou pour l’actionnaire ?

Les véritables bénéficiaires du système : les actionnaires

L’actionnaire direct (99,9%) de la FAVI est  la Société d’Affinage Champagne Ardennes (AFICA)

Créée en 1967 par la famille ROUSSEAU, la société AFICA, située dans la Marne, « s’est consacrée à l’affinage des alliages cuivreux, et tout particulièrement du laiton dont elle a fait sa spécialité » (site AFICA).Et un de ses principaux clients n’est  autre que la FAVI .

.En 1997, une société d’investissement SALVEPAR acquiert 20% des parts, et depuis, AFICA est détenue à 80% par la famille ROUSSEAU et 20% par SALVEPAR.

Les salariés de la FAVI ne possèdent aucune part du capital.

Analyse des comptes de la FAVI : 2003-2014

Le caractère cyclique de l’activité de la FAVI, dépendante du marché de l’automobile, se traduit dans l’évolution du chiffre d’affaires et des résultats, c’est pourquoi l’analyse sur long terme parait plus pertinente.

Sur 12 ans la tendance du chiffre d’affaires est à la hausse, celle des effectifs à la baisse. De 66 millions € en 2003, le chiffre d’affaires est passé à 71 millions € en 2014, et de 421 salariés en 2003, la moyenne des effectifs est passée à 385 salariés en 2014.

Malgré des variations significatives, le résultat reste toujours largement positif. En 2014, il est de 2,8 millions € (5 millions € en 2003).

Cette tendance à la baisse du résultat est difficile à analyser pour 2 raisons : spécificité du marché automobile et nature du principal fournisseur de matières, AFICA l’actionnaire.

En moyenne sur les 12 dernières années, une rentabilité de 400% du capital

Le résultat annuel (moyenne sur 12 ans) est de 4 millions € pour un capital investi par l’actionnaire d’à peine 1 million €. Une rentabilité de 400% du capital investi constitue une sacrée performance.

Une part du résultat utilisée dans le développement de l’entreprise

Pour 40% de son montant, le résultat a été réinvesti dans l’entreprise en désendettement et en acquisition de nouveaux matériels.

Ainsi en 2014, les dettes ne représentent plus que 42% du total des ressources, contre 68% en 2003. Et dans le même temps d’importants investissements matériels ont été réalisés.

Et si le développement de l’entreprise est un enjeu important pour les salariés,  en final, ce sont bien les actionnaires qui bénéficieront de l’amélioration de leur patrimoine et de la diminution des dettes.

Un petit effort pour les salariés

L’augmentation des salaires (inclus l’intéressement) est  de 5%, en moyenne annuelle sur 12 ans.En 2014, le salaire moyen brut, hors participation, est de 2576 € et de 2 620 €, participation incluse.

Mais on peut  noter aussi qu’en 2014, l’augmentation de la masse salariale d’un montant de 553 000 € a été intégralement financée par le CICE (subvention d’état) d’un montant de 548 000 €, l’effectif étant resté stable.

Mais AFICA l’actionnaire direct reste le premier servi

Pour 60% de son montant, le résultat a été  distribué à AFICA , soit une moyenne annuelle de 2,4 millions € sur les 12 dernières années.

Et qu’en fait AFICA ?

Contrairement à la FAVI, le chiffre d’affaires connaît une forte progression : de 20 millions € en 2003, il passe à  56 millions € en 2014, dont 25 millions €, environ, proviennent des seules ventes à la FAVI.

Dans le même temps l’effectif salarié passe de 50 personnes à 43 personnes : un chiffre d’affaires multiplié par 2,8 avec un effectif en baisse, mystère ! Personnel détaché, intérimaire ? Prix de transfert sur les ventes facturées à la FAVI ?

Contrairement à la FAVI, la grande majorité des effectifs sont des cadres et le salaire brut moyen en 2014 est de 4 245€, bien supérieur à celui des salariés de la FAVI.

En outre, les jetons de présence versés aux administrateurs et les rémunérations des dirigeants s’élèvent à 1 000 713 € en 2014, contre 723 619 € en 2013.

Les symboles de la hiérarchie n’ont pas disparu, ils se sont simplement déplacés vers AFICA.

Les résultats sont en moyenne sur 12 ans de 3,5 millions € dont les trois quart (2,4 millions €) proviennent des dividendes versés par la FAVI.

Les actionnaires composés de la famille ROUSSEAU (80% des parts) et de SALVEPAR (20% des parts) ont reçu en moyenne sur les 11 dernières années un dividende annuel de 1,7 million € par an, pour un capital investi de 1,2 million €.

Ce qui signifie que l’actionnaire récupère, chaque année, 1,4 fois son capital de départ et ceci grâce à l’originalité de la méthode de management  !!! et à la grande fatigue des salariés.

La famille ROUSSEAU a-t-elle fait sienne la thèse de JJ Rousseau. En 1754, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, JJ ROUSSEAU affirmait que l’homme était naturellement bon et dénonçait l’injustice de la société.

L’homme serait-il naturellement bon sauf quand il est actionnaire ?

Sources

  • Documents financiers 2003-2014, rapports commissaire aux comptes FAVI, AFICA et comptes consolidés
  • Sites internet FAVI AFICA et SALVEPAR
  • Article de l’Express décembre 2009
  • Vidéo « Questions de confiance » FR3 Nord pas de Calais 2009
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