EHPAD – Souffrance des résidents, navires de plaisance des dirigeants

publié mai 2022

L’actualité a mis en lumière les multiples dérives dans les EHPAD. La critique s’est concentrée sur deux groupes français, Orpéa et Korian, mais sans évoquer l’enrichissement personnel des dirigeants, pourtant principal objectif des propriétaires d’EHPAD privés. Par exemple, sous le sigle Les Opalines, l’exploitation de l’or gris, assure aux familles actionnaires, une vie de luxe à l’ile St Barth…

NB : Tous les extraits présentés ici sont issus de documents officiellement déposés, consultables par tous et téléchargeables sur Infogreffe ou sur les sites internet des EHPAD concernés.
Contrairement aux accusations portées parfois contre mes analyses, je ne fais pas de bashing anti patron, je dénonce seulement les dirigeants qui s’approprient des millions € pour leur seul profit, mettant en danger des entreprises, des emplois et des pans entiers de l’économie. L’enrichissement des uns s’effectue sur l’appauvrissement ou la souffrance des autres.

Dans l’ouvrage de Victor Castanet « Les Fossoyeurs », les détournements de fonds publics par le groupe Orpéa sont dénoncés de manière particulièrement détaillée et rigoureuse.
Dans son livre « Cessons de maltraiter nos vieux » Elise Richard se livre à une démonstration glaçante des conditions de vie faites à nos ainés dans les EHPAD. De nombreuses émissions ont aussi traité le sujet, Pièces à conviction, Envoyé Spécial, Zone interdite, Cash Investigation …

Mais, l’enrichissement personnel des fondateurs, des dirigeants et des actionnaires ne fait que très rarement l’objet d’estimations chiffrées, alors qu’il atteint, parfois, des niveaux indécents.
Il faut préciser que le classement des fortunes, réalisé chaque année par la revue Challenges, est fondé sur le patrimoine professionnel, lié à la valeur des entreprises et non sur la richesse personnelle des familles ou individus concernés.

Pour les groupes cotés en Bourse, tels que Orpéa et Korian, l’évaluation des revenus prélevés par les dirigeants sur les EHPAD est relativement aisée, grâce aux documents d’enregistrement universel. Il n’en va pas de même pour des groupes familiaux, dont les actionnaires restent bien discrets sur leur fortune, il faut donc chercher des signes extérieurs de richesse. Nous avons tenté cette démarche pour le Groupe « Les Opalines ».

EHPAD Les Opalines, l’indécence des modes de vie des associés

Une discrétion absolue

Si, en 2016, une grève de 120 jours n’avait pas éclaté dans l’établissement de Foucherans, ce groupe d’EHPAD serait resté à l’abri des regards indiscrets… Dans une émission de Zone Interdite sur M6 en octobre 2018, les conditions de vie imposées aux résidents sont dénoncées comme inhumaines.

Pour en savoir plus sur ce groupe, il faut investiguer longtemps, car son organigramme est complexe, holdings et sous holdings, aux dénominations confuses car sans rapport avec l’activité.

Un millefeuille de holdings

Le groupe a été créé en 1997 par les familles de Philippe Péculier et Didier Ménéchet. Le montant investi par les deux actionnaires est au total de 12 millions € et ceci de 1997 à nos jours.

Nous avons établi cet organigramme à partir des publications des comptes annuels consolidés téléchargeables sur Infogreffe.

Chacune des familles possède sa holding, dont la dénomination n’a guère de rapport avec l’activité, 2M Promotion pour la famille MENECHET, MAT IMMO Beaune pour la famille PECULIER.

Trois sous holdings , dont l’appellation a un terme commun « SGMR », servent d’intermédiaires entre les holdings des familles et les EHPAD.

Une quatrième sous holding,  SCI foncière, gère les 40 sociétés immobilières, propriétaires des locaux, facturant des loyers aux EHPAD.
Chacune des familles publie les comptes consolidés de son sous groupe.
Le résultat global de l’ensemble se détermine par l’addition des bénéfices consolidés déclarés par chacune des familles.

Une rentabilité hors du commun

Sur les 5 dernières années, les bénéfices annuels varient entre 20 millions € et 36 millions €, pour un capital investi, rappelons-le, de 12 millions €. ( Source : Comptes annuels Mat Immo Beaune, 2M Promotion)

Ces résultats faramineux sont dégagés exclusivement à partir des économies drastiques réalisées sur les conditions d’accueil de résidents, sous effectif chronique, rationnement des protections, nourriture au rabais, activités réduites …

Les résultats ne sont pas distribués en dividendes, mais sont utilisés à racheter des établissements ou à augmenter les parts en capital.

Les comptes ne sont pas suffisamment détaillés, et n’indiquent pas les revenus que les deux familles prélèveraient éventuellement sur les recettes des EHPAD.
Cependant, leur enrichissement ne fait pas de doute, au regard de leur mode vie, en particulier pour la famille Péculier.

Domiciliation et navires de plaisance à Saint Barthélémy

Lors de notre article précédent, nous nous étions interrogé à propos de la domiciliation du Commissaire aux comptes désigné par les deux holdings familiales, l’ile Saint Barthelemy, alors que les EHPAD et les holdings étaient situés sur le territoire métropolitain. (extrait document annuel Mat Immo Beaune. Infogreffe)

Nous avons trouvé confirmation de notre hypothèse dans un document officiel (téléchargeable pour 10 € sur Infogreffe) : les statuts mis à jour en 2016 d’une société dénommée Italia Soft, domiciliée à Saint Barthélémy.

Les 4 associés d’Italia Soft, sont les membres de la famille Péculier, les parents et les deux enfants. La domiciliation du père et de la mère est bien dans cette ile de rêve, au très faible taux d’imposition.

Il serait intéressant d’aller voir leur demeure, car dans cette ile des grandes fortunes, les masures ne sont pas légion.

Mais encore  plus révélatrice  est l’activité d’Italia Soft, telle qu’elle est inscrite dans les statuts :

Les comptes de cette société ne sont pas publiés, il est donc difficile de déterminer s’il s’agit réellement d’une activité commerciale touristique, ou de la gestion de navire de plaisance de la famille Péculier.

Philippe Péculier est aussi associé unique d’un hôtel situé à Saint Martin (extrait statuts téléchargeable sur Infogreffe)

Ce patrimoine personnel, bateaux de plaisance et hôtel, s’est-il constitué grâce aux revenus des EHPAD ? On ne peut que le supposer, faute d’informations sur les revenus prélevés.

Mais, en 2022, la question ne se pose plus, avec le pactole réalisé sur la revente des actions SGMR.

Une sacrée plus value sur les reventes d’action

En fin d’année 2021, les familles Péculier et Ménéchet, par l’intermédiaire de leurs holdings vendent leurs actions SGMR au groupe d’EHPAD COLISEE France ( Source : Colisée International , rapport du commissaire aux apports du 18/11/2021, téléchargeable sur Infogreffe  pour 10€),
La recette totale pour les deux familles est donc de 200 millions €, soit 100 millions € pour chacune d’entre elles. De quoi renouveler les bateaux de plaisance !. Faut il rappeler que l’investissement des 2 familles est de 12 millions €.

Et certainement le groupe Colisée aura pour objectif la rentabilisation des 200 millions € dépensés. L’austérité n’est peut-être pas finie pour les EHPAD du groupe SGMR !

Les rémunérations fabuleuses chez Orpéa

Le groupe Orpéa, « vedette » du livre de Victor Castanet, est accusé, preuves à l’appui, de détournement d’argent public, et ceci au terme d’une longue et minutieuse enquête, parfaitement documentée et sourcée.

Mais qui sont les heureux bénéficiaires de ces détournements ? La réponse est à chercher dans les documents officiels publiés chaque année.

Le fondateur Orpéa Jean Claude Marian et ses 812 millions €

Il ne s’agit pas de données confidentielles, elles sont accessibles à tout public dans les documents de référence et documents d’enregistrement universel, publiés chaque année, disponibles et téléchargeables sur le site internet d’Orpéa.
Répétons-le, Il ne s’agit pas non plus de faire du « bashing » anti patron mais de dénoncer leur enrichissement fondé sur les drastiques économies réalisées au détriment des résidents et du personnel, à l’origine des maltraitances si souvent dénoncées.

Rémunérations connues de  Jean Claude Marian, fondateur en 1991 du groupe Orpéa avec un investissement de 10 millions €
Sur des reventes d’actions,  il a perçu 310 millions € en 2013 et 456 millions € en 2020
Sur la distribution de dividendes, il a perçu entre 2008 et 2018 un montant cumulé de 40 millions €
Au titre de rémunérations, il a perçu, entre 2007 et 2016, un montant de 4,9 millions €, en cumul sur 10 ans. Les rémunération précédentes ne sont pas connues.

Soit donc un montant total connu et publié de 812 millions €

Les deux directeurs d’Orpéa Jean Yves Le Masne et Jean Claude Brdenk

 En comparaison avec le montant du SMIC, 19 747 brut annuel, le directeur a un salaire plus de 60 fois supérieur ! Aucune justification possible d’un tel écart !
Ces niveaux de salaires paraissent exorbitants pour des dirigeants d’entreprises financées en partie par de l’argent public. Ceux-ci et devraient être soumis au même plafond que leurs homologues du secteur public, soit 450 000 € (décret 26 juillet  2012).

Tous les deux ont été limogés, suite aux révélations de Victor Castanet.

Un gros pactole pour le départ de JC Brdenk

« En conséquence de cet engagement et dans le respect de ces termes et conditions, une indemnité de cessation de fonctions d’un montant de 2 539 036,44 € est due à Monsieur Jean-Claude Brdenk.Son versement sera soumis à l’approbation préalable de l’Assemblée Générale 2021. » Zone Bourse 6 novembre 2020.

Les actionnaires et les dividendes

 

 

Les bénéfices annuels varient entre 150 millions € et 234 millions €. Le résultat le plus élevé a été obtenu l’année du COVID !!! Avec combien d’aides de l’Etat, donc du contribuable ?

Les dividendes distribués correspondent à 1/3 du résultat, sauf l’année du COVID, où par « solidarité »  les actionnaires ont renoncé à leur dividendes. Mais rien ne les empêchera de les récupérer par la suite.

Tous ces fonds « détournés » manquent cruellement à la prise en charge des personnes âgées, à leur bien-être et aux conditions de travail des salariés.

Orpéa, Opalines et bien d’autres encore…pillent l’argent de la collectivité et des personnes âgées. Une règlementation trés stricte de l’utilisation de l’argent public pourrait mettre fin à ces détournements. Mieux encore, seule une remise en secteur public de tous les établissements de santé, aujourd’hui, aux mains du privé, EHPAD, hôpitaux … , serait efficace pour protéger la santé de tous.

Sources

Comptes consolidés Mat Immo Beaune 2015 à 2020
Comptes consolidés 2 M Promotion 2015 à 2018
Statuts modifiés 2016 Italia Soft
Statuts Hotel Saint Martin Péculier
Colisée International , rapport du commissaire aux apports du 18/11/2021
Documents de référence et d’enregistrement universel Orpéa 2008 à 2021
Article Zone Bourse 6 novembre 2020

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Commentaires

Marie GEROME dit :

Avec les constats actuels sur les hôpitaux (donc publics), les urgences (qui ferment les unes après les autres), et celui sur les EHPAD privées, il ne reste qu’une action possible, efficacement, et surtout éthiquement, pour ce nouveau gouvernement. Alors ???
A quoi servent nos élections? sont-elles démocratiques ? Où allons-nous ?… Que faisons-nous ?
Merci pour toutes ces informations que je vais continuer à faire suivre pour combler le manque de celles de nos médias…privés!

Pascal BLAMPEY dit :

Bonjour Arlette, merci pour ton travail, mon épouse travaille dans une EHPAD public. J’èspère que les comptes ne sont pas du même style.
Bonne journée

arlette dit :

Dans le Public, il n’y a pas de remuneration d’actionnaires, et les salaires, y compris des dirigeants sont encadrés par les conventions collectives. Il faudrait nationaliser tous les groupes privés.
Et merci Pascal pour l’intérêt porté à mon travail

Marchal dit :

Merci pour ton travail Arlette,
Ça fait froid dans le dos de voir à quel point les patrons s’enrichissent et savent claquer un fric qui les dépasse.
Je me dis aussi que leur liaison avec St Bart doit se faire fatalement par jet privé. Malheureusement je n’ai pas trouvé trace d’un fichier qui donnerait les noms des heureux propriétaires de ces engins qui sont le pire moyen de déplacement pour le bilan carbone de la planète.
Bonne continuation, ça fait du bien.

arlette dit :

Merci pour l’idée du Jet privé, l’hypothèse paraît bien plausible