FAVI- Laiton injecté 2015

Leader des entreprises libérées, une illusion de liberté pour le plus grand bonheur des actionnaires (publié sept 2016)

La FAVI, une fonderie située dans le nord de la France,  a fait couler beaucoup d’encre, rendue célèbre pour son management original et son dirigeant historique, JF Zobrist, souvent qualifié d’«extraterrestre visionnaire».

FR3 Nord pas de Calais y a consacré, en 2009, une émission « Question de confiance » et plusieurs livres  ont vanté ce  modèle  d’entreprise fondée sur la confiance en la bonté de l’homme et la valorisation du travail direct de production.

Mais derrière les grands discours sur la priorité donnée au facteur humain, se cache l’habituelle obsession de rentabilité pour les actionnaires.
Les économies réalisées grâce à cette méthode permettent d’obtenir de substantielles marges dans un secteur d’activité pourtant contraignant, la sous-traitance pour les constructeurs automobiles.

Les très bons résultats de la FAVI ont été en partie utilisés à l’investissement et au désendettement, ce qui est rassurant pour les salariés, mais aussi très enrichissant  pour les actionnaires, dont le patrimoine n’a cessé de prendre de la valeur.

Et l’autre partie des résultats a été distribuée en dividendes pour un montant particulièrement élevé  eu égard au capital investi.

De curieuses évolutions sur les 3 dernières années laissent planer une grande interrogation sur la stratégie future des actionnaires :   les prélèvements de dividendes sont en nette diminution, et le montant des comptes en banque du Groupe en nette progression  pour atteindre 20 millions € à fin 2015. Pour quelle utilisation ? L’argent étant improductif, la constitution de ce « bas de laine » doit bien avoir quelques raisons ….

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Créée en 1957 , dans  le département de la Somme à Hallencourt, la FAVI est spécialisée dans la production des fourchettes pour boite de vitesse pour l’automobile et des rotors à cage cuivre pour l’industrie et les transports.
L’effectif est de 383 salariés en 2015, essentiellement ouvriers et agents techniques.

Principales caractéristiques du management « original »

Une philosophie

 » Notre système repose avant tout sur deux valeurs judéo-chrétiennes : la bonté naturelle de l’homme et l’amour du client, égrène inlassablement Jean-François Zobrist à ses invités de passage. De là  découle l’absence de hiérarchie. Nous demandons aussi à nos salariés de respecter quatre commandements : la bonne foi, le bon sens, la bonne volonté et la bonne humeur » (interview du directeur paru dans l’Express décembre 2007).

Une organisation

L’entreprise est découpée en mini-usines , destinées chacune à servir un client : FIAT, Renault PSA ..et  gérées en totale autonomie par un collectif d’ouvriers.

Chaque équipe désigne pour 3 ans un leader,  animateur et coordinateur du groupe, non doté de pouvoir hiérarchique, il doit convaincre, car chaque ouvrier organise  librement  son  travail.
De plus, la polyvalence permet d’éviter la monotonie de gestes répétitifs et l’absence de contrôle et de pointage rend chaque salarié responsable.

La créativité des ouvriers est stimulée par une prime de 1000€ remise à l’auteur de la meilleure invention du mois. Une fois par an, c’est une voiture qui est attribuée à celui dont l’invention a été jugée la plus digne d’intérêt.
La hiérarchie est réduite à un seul échelon : pas d’intermédiaire entre l’opérateur et le directeur. Le service administratif n’occupe que 5 employés, car la plupart des tâches de gestion, choix des fournisseurs,  plannings de production, expéditions  …est assurée en interne dans chaque mini usine.

Tous les symboles du pouvoir, comme les voitures de fonction, ont disparu.
Cette organisation permet, en fait, de réaliser de substantielles économies mais assure-t-elle vraiment le bonheur des salariés ?

Le point de vue des salariés

L’autonomie est en fait très limitée et la transparence quasi inexistante, il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter l’émission de FR 3 « Question de confiance »

Une ouvrière explique que les  cadences sont plus élevées qu’ailleurs, et qu’en fin de poste, elle est très fatiguée. Epanouissement personnel ?

Un ouvrier déclare ignorer le montants des salaires de ses collègues, seuls ceux de l’intéressement et de la participation sont connus car identique pour tous. Transparence ?

Les salariés de la FAVI ne sont nullement informés de la stratégie définie par les véritables propriétaires de l’usine, la famille Rousseau. Au retour d’un voyage professionnel en Roumanie, des salariés expriment leur crainte de délocalisation et seul  leur Savoir Faire paraît les protéger d’un tel danger. Bonheur des salariés ?

Ces mêmes inquiétudes sont formulées au moment de la crise de l’automobile fin 2008, avec la baisse des commandes. Les salariés n’ont aucune idée des marges de manœuvre de leur entreprise et des richesses accumulées au cours des décennies précédentes.

En outre, les contradictions du dirigeant visionnaire sont manifestes :   après avoir racheté un concurrent en Grande Bretagne, il l‘a éliminé et mis  200 salariés au chômage. C’était, disait-il, pour d’assurer la pérennité de l’usine d’Hallencourt.
Enfin, l’absence totale de présence syndicale dans une entreprise de cette taille pose la question sur la véritable nature des relations sociales .

Mais l’objectif réel  de l’autogestion est avoué,  « Si on est humanistes, c’est aussi pour faire du fric », aime répéter Jean-François ¬Zobrist, en indiquant de jolis gains de productivité de 3% par an depuis vingt ans.

Les véritables bénéficiaires du système : les actionnaires

L’actionnaire direct (99,9%) de FAVI est  la Société d’Affinage Champagne Ardennes (AFICA)
Créée en 1967 par la famille ROUSSEAU, la société AFICA, située dans la Marne, « s’est consacrée à l’affinage des alliages cuivreux, et tout particulièrement du laiton dont elle a fait sa spécialité » (site AFICA).Et son principal client n’est  autre que FAVI .

En 1997, une société d’investissement SALVEPAR acquiert 20% des parts, et depuis, AFICA est détenue à 80% par la famille ROUSSEAU et 20% par SALVEPAR.

Les salariés de FAVI ne possèdent aucune part du capital.

2006-2015 : Les salariés, variable d’ajustement pour des résultats largement positifs

Le caractère cyclique de l’activité de la FAVI, dépendante du marché de l’automobile, se traduit dans l’évolution du chiffre d’affaires et des résultats, c’est pourquoi l’analyse sur long terme parait plus pertinente.

Sur les  10 dernières années, la baisse de 5% du chiffre d’affaire a entrainé une  réduction  de 19% des effectifs : les salariés sont donc  la variable d’ajustement  comme dans toute entreprise « non libérée ».

Sur la même période, le résultat reste toujours largement positif, d’un montant de 2,8 millions € en 2014 et 2015.
Compte tenu du niveau des transactions réalisées avec AFICA, principal fournisseur de matières ,  ce résultat pourrait  bien avoir été minoré par une politique  de prix de transfert.

En moyenne sur les 10 dernières années, une rentabilité annuelle de 380% du capital

Le résultat annuel (moyenne sur 10 ans) est de 3,8 millions € pour un capital investi par l’actionnaire d’à peine 1 million €. Une rentabilité de 380% du capital investi constitue une sacrée performance.

Désendettement et investissement

Pour 40% de son montant, le résultat a été réinvesti dans l’entreprise en désendettement et en acquisition de nouveaux matériels.
Ainsi en 2015, les dettes ne représentent plus que 40% du total des ressources, contre 62% en 2006. Et dans le même temps d’importants investissements matériels ont été réalisés.
Et si le développement de l’entreprise est un enjeu important pour les salariés,  en final, ce sont bien les actionnaires qui bénéficieront de l’amélioration de leur patrimoine et de la diminution des dettes.

Année 2015 : Stagnation des salaires et des effectifs

Nous avions en 2014 noté une augmentation de 5% en moyenne des salaires sur les 12 dernières années, l’année 2015 ne confirme pas cette tendance puisque les rémunérations moyennes mensuelles (participation incluse) stagnent, passant de 2620 € à 2619 €.
Est-ce le départ à la retraite du dirigeant historique, JF Zobrist, qui serait à l’origine de cette évolution défavorable aux salariés ?

Mais le montant du CICE perçu : 547 milliers € en 2015, 548 milliers € en 2014 n’a pas été impacté par la stagnation des salaires et la légère baisse des effectifs.

 AFICA, salaires élevés, bénéfices et dividendes

Après avoir connu une progression continue, le chiffre d’affaires diminue de 4% en 2015.
Le principal client d’AFICA est la Favi qui lui assure 41% de son chiffre d’affaires.

Contrairement à la FAVI, la grande majorité des effectifs, 40 personnes, sont des cadres et le salaire moyen en 2015 est de 4 409 € en hausse de 4% par rapport à 2014, mais sans aucune participation.

En outre, les jetons de présence versés aux administrateurs et les rémunérations des dirigeants ne cessent de progresser chaque année : 1 053 407 € en 2015, 1 000 713 € en 2014, 723 619 € en 2013.
Les symboles de la hiérarchie n’ont pas disparu, ils se sont simplement déplacés vers AFICA.

Sur les 10 dernières années, les résultats sont en moyenne de 3,3 millions € dont prés des trois quart (2,6 millions €) proviennent des dividendes versés par la FAVI.

Les actionnaires constitués par la famille ROUSSEAU (80% des parts) et SALVEPAR (20% des parts) ont reçu en moyenne sur les 10 dernières années un dividende de 1,2 million € par an, pour un capital investi de 1,2 million €.
Ce qui signifie que l’actionnaire récupère, chaque année, l’intégralité de son capital de départ, tout en enrichissant son patrimoine et ceci grâce à l’originalité de la méthode de management  !!! et à la grande fatigue des salariés.

Des évolutions inquiétantes

Depuis 2012, la politique des dividendes s’est considérablement modifiée, le montant distribué a été divisé par deux, l’actionnaire laissant une plus grande part du résultat dans l’entreprise, mais ceci dans le but non pas d’investir mais d’alimenter les comptes en banque.
En effet, pour l’ensemble consolidé (FAVI + AFICA), le montant des comptes est passé de 9,9 millions € fin 2012 à 20,6 millions € fin 2015.

Pour quelles raisons, les actionnaires d’AFICA accumulent-ils un tel niveau de trésorerie qui ne rapporte rien, l’argent étant improductif ? On peut se poser la question et craindre une stratégie nocive pour les salariés de FAVI.

Sources

Comptes financiers FAVI, AFICA (2003 à 2015) comptes consolidés 2014 et 2015
Sites internet FAVIE AFICA et SALVEPAR
Article de l’Express décembre 2009,
Vidéo « Questions de confiance » FR3 Nord pas de Calais 2009

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Commentaires

La honte dit :

En réponse à votre article qui est impeccablement rédigé maïs mal renseigné, voici la réalité : _ je travaille depuis presque 30 ans, mon salaire est d environ 1300e net et malheureusement plus de primes depuis 2ans
_ il a été décidé que nos salaires seront dorénavant figés, accord signé avec les syndicats qui existent depuis 2ans
_ vous dites qu il y a un changement de leader tous les 3ans FAUX c est toujours les mêmes depuis que je suis là Etc Etc
Il serait plus judicieux, avant d’imprimer un tel article d enquêter auprès des ouvriers. « Favi c’est le paradis » c était il y a très longtemps. Maintenant on parle de plan de départ volontaire alors où va t on?

cuisinedespatrons dit :

Nous tenons tout d’abord à vous remercier de votre précieux témoignage qui confirme notre analyse, car vous avez mal lu l’article.

Celui-ci est très critique sur le système de la Favi, il démontre, en effet, que cette prétendue libération permet surtout de dégager d’importants bénéfices pour les actionnaires, au détriment des conditions de travail et de rémunération des salariés et que tout le discours de JF Zobrist n’est que de l’enfumage.

Un paragraphe « Principales caractéristiques du management « original » » est effectivement consacré à décrire l’organisation telle que développée dans les émissions de FR 3 « question de confiance » et de Arte « au bonheur des salariés ».

Mais dans la suite de l’article, nous dénonçons les véritables objectifs de ce système de management, ceux de dégager le maximum de profit pour l’actionnaire et d’assurer un montant élevé de salaire aux cadres d’Afica, au détriment de la rémunération des salariés de la Favi.

Relisez les paragraphes : « Le point de vue des salariés », « Les véritables bénéficiaires du système : les actionnaires », « 2006-2015 : les salariés variable d’ajustement » , « AFICA, salaires élevés, bénéfice et dividende…. »

Il est bien regrettable qu’un syndicat ait signé un tel accord aussi défavorable aux salariés, alors que le travail a permis pendant des années de dégager d’importantes richesses accaparées par les actionnaires d’AFICA.
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