KEOLIS 2018
Un bel embrouillamini chez ce géant du transport en délégation de Service Public (publié janv 2019)
Avec une activité de service public et un actionnaire à 70% public par le biais de la SNCF, Kéolis devrait avoir pour seul objectif la qualité des prestations rendues aux usagers.
Mais ce groupe est atteint par l’obsession du profit et s’ingénie à le masquer à l’aide de manœuvres financières bien trompeuses, comme le transfert massif des marges.
Les pertes structurelles accumulées à Lille ou Lyon semblent avoir un caractère bien fictif car, à chaque renouvellement de contrat, le groupe pose sa candidature : par amour des déficits ou des surfacturations de services ?
Les excédents d’exploitation dégagés par d’autres filiales sont immédiatement prélevés à la source réduisant à néant le résultat final. Parmi les « victimes », on peut citer Dijon, Caen, Quimper Amiens et bien d’autres encore…
Enfin, la trésorerie souvent abondante des filiales de transport fait l’objet de prêt sans intérêt à la maison mère, qui, à son tour, les prête….avec intérêt.
Kéolis Bordeaux fait figure d’exception car depuis le renouvellement de son contrat en 2015, les bénéfices sont clairement affichés.
Le but de ces manipulations comptables est d’améliorer sans cesse les résultats pour l’actionnaire.
En 2017, l’augmentation de 6,4% du chiffre d’affaires, se traduit par une hausse de 9,4 % du résultat d’exploitation (EBITDA) et de 13% du résultat net.
Cette amélioration constante de la rentabilité est obtenue par une pression sur le personnel, progression limitée des effectifs et stagnation de la rémunération globale, sauf pour les plus hautes rémunérations.
La recherche du profit en délégation de service public pénalise la collectivité, les usagers et le personnel.(voir nos articles 2014, 2016)
Lire l'article completLa course effrénée à la rentabilité
Une situation dominante
Obtenue par l’importance du chiffre d’affaires : 5,4 milliards €, dont 52% en France et 48% à l’international dans 15 pays.
Caractérisée par un nombre élevé de salariés : un effectif de 61 012 salariés, dont 58% en France et 42% à l’international.
Liée à la quantité et à la diversité des réseaux gérés, bus, tramway métro, trains, vélos …. en France et à l’étranger.
Un développement à l’international
Pour la seule année 2017, l’ouverture de nouveaux réseaux s’est réalisée principalement à l’étranger, au Royaume Uni, au Danemark, en Allemagne, au Pays Bas, aux USA, en Australie, en Inde, au Qatar et en Chine.
Une activité aux frais de la collectivité
En France, l’activité de transport urbain ou interurbain est exercée le plus souvent en délégation des collectivités locales : les 2/3 du chiffre d’affaires proviennent des subventions des collectivités et 1/3 des ventes aux usagers. Les ressources des collectivités proviennent du versement transport, taxe payée par les entreprises.
Dans la plupart des conventions de délégation de service public, c’est la collectivité locale qui supporte et finance les investissements, bus, tram, aménagement …Keolis n’assure que la gestion, limitant ainsi le montant des capitaux à investir
La recherche de l’optimisation du profit
Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le communiqué de presse de mars 2018, annonçant les premiers résultats 2017 :
«. Le chiffre d’affaires a augmenté de 6,4% pour atteindre 5,4 milliard d’euros. Cette forte croissance du chiffre d’affaires s’accompagne d’une bonne amélioration de la rentabilité (EBITDA récurrent) qui progresse de 313M€ à 342M€, soit +9,4% entre 2016 et 2017. Le résultat net part du Groupe s’élève à 51M€, en hausse de +13% par rapport à 2016. • « 2017 est une année très réussie qui nous encourage à tenir le cap engagé » (M€ : million€)
La forte pression sur le personnel
Deux leviers sont utilisés pour peser sur les frais de personnel : freiner la hausse des effectifs, limiter les augmentations de rémunération.
En 2017, pour une progression de 5,5% du chiffre d’affaires, le niveau des effectifs, facteur clé de la création de richesse dans une entreprise de transport, n’a augmenté que de 4,4% .
Quant à la rémunération moyenne, c’est une véritable stagnation avec une hausse de 0,3%, inférieure au niveau de l’inflation.
Mais cette austérité ne concerne pas les 1 511 salariés (87% de cadres) de Kéolis SA, qui ont bénéficié d’une augmentation moyenne de 4,3%.
Quant aux 9 plus hauts dirigeants, ils se sont octroyés une hausse de 17%.
. »Les rémunérations et autres avantages à court terme de ces dirigeants se sont élevés à 4,8 M€ pour 9 personnes en 2017 contre 4,1 M€ pour 9 personnes en 2016. » (document de référence 2017)
La manipulation des comptes des filiales
Afin de limiter les revendications du personnel et exercer un chantage aux collectivités, les dirigeants de Kéolis formatent les résultats en fonction du contexte local.
Les moyens mis en œuvre
Une organisation adaptée
Une structure pyramidale
Les filiales de production appartiennent à Kéolis SA, qui appartient à Groupe Kéolis SAS, qui appartient à deux actionnaires SNCF pour 70% et la Caisse de Dépôt et Placement du Québec pour 30% (fonds d’investissement canadien)
Kéolis SA assure le management des filiales avec un effectif de 1 511 salariés, à 87% des cadres.
Des canaux de transferts des marges
Les transferts de ressources des filiales vers la maison mère empruntent des voies détournées, multiples et parfois opaques.
Une voie transparente, par le versement de dividendes
Elle est peu utilisée chez Kéolis car cela suppose l’affichage de bénéfices. Sur les quelques 150 filiales françaises, une seule, la compagnie des transports collectifs de l’ouest parisien, a versé des dividendes à Kéolis SA en 2017.
Deux voies masquées
La mise en place de système de facturation de services en tout genre, sert le plus souvent à faire disparaître les marges des filiales de production. Cela peut s’effectuer par des transferts directs à Kéolis SA ou indirectement par l’intermédiaire de filiales prestataires de services.
Le principe du prélèvement à la source dénommé « bénéfice transféré » , permet à la Holding de s’accaparer très discrètement de l’excédent d’exploitation , véritable hold-up des résultats des filiales de production.
Cette pratique peu usitée est justifiée de manière surprenante : la maison mère signe les contrats de délégation avec la collectivité, ce qui lui donnerait un droit de propriété sur le résultat d’exploitation dégagé par le travail des salariés de la filiale.
Une utilisation très lucrative de la trésorerie des filiales
L’activité de transport génère une trésorerie abondante, avance des usagers et de la collectivité et délais de paiement des fournisseurs et des organismes sociaux.
Kéolis SA emprunte cette trésorerie à ses filiales sans leur verser d’intérêt mais quand, à son tour, elle effectue des prêts ou des placements, c’est en facturant des intérêts.
La preuve par l’exemple
Nous avons analysé les 4 contrats renouvelés en 2017 en France, Lille, Caen, Amiens, Rennes, considérant que leur rentabilité devait être assurée, sinon Kéolis n’aurait pas posé sa candidature au renouvellement.
Kéolis Lille : une caricature de l’opacité
Depuis une vingtaine d’années, Kéolis gère les transports de l’agglomération lilloise.
2005/2011 : Excédent d’exploitation transféré
Durant cette période, les résultats d’exploitation sont constamment positifs , autour de 3 millions € et sont prélevés par le canal du « bénéfice transféré ».
2012 : Résultat d’exploitation quasiment nul
2013/2017 : Déficits d’exploitation
Durant cette période, les déficits d’exploitation sont abyssaux avec des pertes de 10 millions € annuel.
Analyse de cette évolution à partir de la comparaison des données 2011 et 2017
Chiffre d’affaires : + 68 millions € (+ 27%)
Frais de personnel : +8 millions € (+ 6%)
Autres achats et services : + 53 millions € (+ 57%)
Cette hausse considérable de ce poste de charges pourrait provenir de (sur) facturations effectuées par le Groupe.
On peut en faire légitimement l’hypothèse, puisque Kéolis a présenté sa candidature au renouvellement et se félicite dans son document de référence 2017 d’avoir été l’heureux élu. Aucun groupe, encore moins avec un actionnaire, fonds de pension canadien, ne pourrait se réjouir de supporter des déficits aussi importants.
Kéolis Caen : une caricature du double pompage
Prélèvement du résultat d’exploitation
Entre 2013 et 2017, le résultat d’exploitation constamment positif, compris entre 1 et 2 million € est automatiquement prélevé à la source par le Groupe, faisant apparaître un résultat final très faible.
Prêt de trésorerie sans intérêt
Kéolis Caen prête de manière permanente une somme variant autour de 8 millions € à Kéolis SA, et ceci sans facturer le moindre intérêt.
Ce double pompage s’effectue au détriment de la collectivité qui subventionne les investissements et le fonctionnement et au détriment du personnel qui se voit opposer l’absence de marges de manœuvre dans les négociations.
Kéolis Rennes : caricature de prêt sans intérêt
Depuis 2013, le résultat d’exploitation est toujours déficitaire, une situation probablement lié à des surfacturations de services. Le Groupe compense une petite partie de la perte.
Mais la spécificité de Rennes est l’importance des prêts sans intérêt : entre 2013 et 2017, les prêts au Groupe ont pu atteindre des sommes faramineuses comme en 2015, avec 27 millions €.
Pour accorder un tel niveau de prêt, Kéolis Rennes, utilise les avances de la collectivité, des usagers, les dettes fournisseurs et dettes fiscales et sociales.
Kéolis Amiens : une deuxième caricature du double pompage
Entrée dans le groupe Kéolis en 2012, Kéolis Amiens présente, de 2013 à 2017, les mêmes caractéristiques que celles de Caen.
Le résultat d’exploitation variant entre 0,2 et 1, million €, est systématiquement prélevé par le canal « bénéfice transféré »
La trésorerie de la filiale fait l’objet de prêt sans intérêt, d’un montant quasi permanent de 8 millions €.
Ces 4 cas ne sont pas isolés, et révèlent la stratégie du groupe Kéolis, qui cherchent à faire disparaître les véritables résultats des filiales de production, afin de maintenir une pression permanente sur les collectivités locales et sur le personnel et au détriment du service public.
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