La Compagnie alpine d’aluminium

Sauvetage d’un patrimoine industriel séculaire et de ses emplois par une SCOP (publié mai 2017)

Pendant plus de deux siècles,la Compagnie Alpine d’Aluminium (CAA), située en Haute Savoie s’est développée en toute indépendance.

Dans les années 70, elle ne fut  pas épargnée par le grand jeu de Monopoly. Rachetée par le groupe Péchiney en 1977, la CAA se verra  privée de ses  moyens de développement, l’intégralité de ses bénéfices étant distribuée en dividendes. Et lorsque  Péchiney sera, à son tour racheté par le groupe canadien Alcan, la CAA est exsangue.

En 2006, elle sera bradée  pour l’euro symbolique à un fonds d’investissement américain, dont la stratégie sera mortifère pour l’entreprise.
En 2014, une « escroquerie au président » finira de l’achever, la CAA sera alors mise en redressement judiciaire.
La course aux repreneurs fut un échec, les industriels n’étant intéressés que par une partie de l’activité.

Alors la continuité sous le statut SCOP parût être l’ultime recours. Et après une rencontre avec la SCOP voisine SET, des entretiens à l’union régionale des SCOP, le soutien actif de l’administrateur judiciaire, un collectif de salariés se mobilisera pour gagner la survie de leur entreprise dans des conditions financières pourtant difficiles, le montant des ressources nécessaires s’élevait à 10 millions €.

Convaincues par la confiance de la clientèle, la motivation des salariés, la Caisse des Dépots (PIA), les Banques,  l’union régionale des SCOP, participèrent au financement  et la SCOP  fut créée en juillet 2015, aves 65 salariés (sur  115), dont 43 associés.

En 2017, la CAA compte 90 salariés, 48 associés, et prévoit une croissance de 10% par an.

Ainsi fut sauvée une entreprise industrielle séculaire et son emploi pérennisé ! Un exemple à diffuser largement.

Lire l'article complet

De la manufacture royale à un fonds d’investissement américain

1765-1861 : Manufacture royale du Royaume de Piémont Sardaigne

Créée en 1765, « La manufacture royale de Cran » est installée prés du lac d’Annecy et à proximité des chutes de la rivière du Thiou, source d’énergie hydraulique.
Son activité de forge produit des objets usuels pour l’agriculture, l’armement et les ustensiles de cuisine.
A l’époque, la Savoie appartient au royaume de Piémont Sardaigne, la manufacture bénéficie alors  du monopole royal.

1861- 1977 : Forges de Cran et développement  français

En 1861, à la suite du rattachement de la Savoie à la France, « Les forges de Cran » vont être confrontées à la concurrence, et aux difficultés qui en découlent. Mais l’entreprise résistera et le début du 20ème siècle lui sera (malheureusement) salutaire, avec l’essor de la production d’armement.
En 1961, l’installation à proximité d’une nouvelle entreprise spécialisée dans les ustensiles de cuisine, TEFAL  constituera un nouveau débouché  pour les disques d’aluminium.
Les forges de Cran se sont progressivement spécialisées dans deux activités : les disques pour le culinaire et le laqué pour le bâtiment.
A la fin des années 60, l’entreprise connaitra son apogée avec un effectif de 600 salariés.

1977 à 2005 : Intégration dans Péchiney et les prémisses d’un déclin

En 1977, Péchiney, premier groupe français de l’aluminium, rachètera le site de Cran.
Durant une dizaine d’années, l’entreprise continue de prospérer mais Péchiney prélevant l’intégralité des bénéfices, la CAA n’a plus les moyens d’investir et son avenir s’assombrit peu à peu.
En 2003, le rachat de Péchiney par Alcan fait rentrer le site de Cran dans le giron d’un groupe mondial canadien.
A partir de 2005, les résultats deviennent  lourdement déficitaires. Pour quelles raisons ? Manque d’investissement, stratégie, transfert de marges …?

2006 à 2014 : Logique mortifère d’un fonds d’investissement

En 2006,  American Industrial Acquisition Corporation (AIAC), un fonds d’investissement américain rachète, pour l’euro symbolique, le site de Cran, qui prend alors le nom de Compagnie alpine d’aluminium (CAA).
Ce nouvel actionnaire recapitalisera l’entreprise avec un apport de 10,8 millions €.

Entre 2006 et 2013, le chiffre d’affaires sera divisé par deux  et des plans sociaux réduiront les effectifs de moitié.
Les résultats seront constamment déficitaires, avec une perte cumulée de 10,5 millions € sur  sept ans.
Le capital investi est donc intégralement absorbé par les déficits.

Quelle stratégie cachée ?

La marge a-t-elle été transférée au siège social par l’intermédiaire de facturations de prestations ?
Le siège social de AIAC est l’état américain du  Delaware, véritable paradis fiscal.

Des perspectives de gains sur la vente du terrain ?

L’implantation géographique de la CAA pourrait générer de fortes plus values foncières : elle occupe une surface  de 10 000 m2, dans une zone urbaine, le bassin annecien, soumise à une intense spéculation immobilière.

2014 – La mise en redressement judiciaire

L’évènement déclencheur

En avril 2014, la CAA est victime d’une « escroquerie au président » lui faisant perdre 1,3 million € de trésorerie. Le tribunal de commerce d’Annecy accepte alors une mise en redressement judiciaire sur une période de 6 mois, permettant à l’entreprise d’étaler ses dettes.

L’échec des recherches de repreneurs

Le plan de redressement présenté par  l’actionnaire  n’était pas crédible, il se réduisait, en effet,  à une simple augmentation des prix de vente. La fermeture de l’usine et la vente du terrain constituaient-elles les véritables objectifs  poursuivis ?

Les autres propositions émanant de repreneurs extérieurs ne concernaient qu’une partie de l’activité,  disques  pour le culinaire ou laqué pour le bâtiment, ce qui signifiait à terme la disparition du site.

La SCOP comme seule  alternative

Sur les conseils de l’administrateur judiciaire, l’éventualité d’une reprise par les salariés  est, alors, envisagée. Trois cadres aux compétences complémentaires, et possédant une connaissance approfondie des rouages de l’entreprise vont s’y intéresser de très prés.

Leur visite à SET, une entreprise voisine reprise en SCOP suite à dépôt de bilan, et la rencontre avec les dirigeants de l’union régionale des SCOP  finiront par les convaincre de l’intérêt de cette solution.

2015 – Une patiente construction

Pour assurer une viabilité à la SCOP et répondre aux exigences du tribunal de commerce, trois conditions devaient être réalisées.

Première condition : la confiance de la clientèle

Le soutien des clients, (dont Tefal), se manifestera par des lettres d’engagements pour les deux années à venir et l’un d’entre eux apportera même un capital de 200 000 €.
La CAA est  la seule usine en France à concentrer les trois activités de fonderie, de laminage et de laquage, ce qui constitue pour la clientèle une bonne raison de souhaiter sa continuité.

Deuxième condition : l’adhésion des salariés au projet.

Sur les 115 salariés présents dans l’entreprise, il fallait en convaincre 85 de rester, pour assurer la production prévue dans les objectifs.

Les handicaps à surmonter

Une défiance liée au passé et aux médias
Lors des 10 dernières années, deux plans sociaux ont réduit  de moitié les effectifs , de 223 en 2005 à 115 en 2014, portant ainsi le discrédit sur les promesses jamais tenues.
Le statut de SCOP est peu connu et seuls les échecs font la une de la presse, véhiculant ainsi l’idée  de la soi-disante incompétence des salariés en matière de gestion.

Des salariés proches de la retraite
Les salariés de plus de 55 ans  sont peu enclins à tenter une aventure professionnelle, ce qui posera le problème de la transmission du savoir faire.

Une  remise en cause des acquis sociaux
Un nouveau pacte syndical est signé actant une augmentation du temps de travail (réduction des RTT de 22 jours à 7 jours) sans hausse de salaire et la suppression de certaines primes  de départ à la retraite.

Un investissement de 3 mois de salaire pour devenir associé
Il s’agit là d’un choix laissé à chaque salarié et non d’une obligation

Les arguments convaincants

La préservation de l’emploi, d’un patrimoine et d’une culture industrielle ancestrale.
Les efforts demandés, le sont dans l’intérêt exclusif de l’entreprise et des salariés et non dans celui d’actionnaires financiers.
La confiance dans la compétence et la probité de la future équipe dirigeante.

En final, 65 salariés resteront dans la SCOP et 43 accepteront d’être associés avec, pour la mise de fonds, un prélèvement sur leur salaire.

Troisième condition : un  financement suffisant

Afin d’assurer un démarrage viable dans cette entreprise industrielle, le besoin de financement était de 10 millions €.

Afin de convaincre les financeurs extérieurs (Etat et Banque), l’implication des futurs associés se traduira par un apport  de 4 millions €, dont 360 000 € par les 43 salariés associés, dont 200 000 € par un client  et le reste par l’union régionale des SCOP et autres organismes de l’ESS.

Les emprunts auprès des banques seront de 3 millions € et les avances de trésorerie de 3 millions €, la garantie de BPI France sera un argument décisif.

Par le biais du programme investissement avenir (PIA ex grand emprunt), la contribution de l’Etat sera de 1,4 million €.

La reprise en SCOP sera validée le 15 juillet 2015, soit à peine un peu plus d’un an après la mise en redressement judiciaire.

De précieux soutiens

Un contexte politique favorable

Au niveau national

En 2012 , création d’un poste de ministre délégué à l’économie sociale et solidaire.
En 2014 , adoption de la loi de l’ESS favorable à de nouvelles pratiques de développement durable local.

Martine Pinville, secrétaire d’Etat chargée du Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Economie sociale et solidaire, s’investira personnellement dans le projet de la CAA.

Au niveau local

Les élus locaux se mobiliseront pour préserver ce patrimoine industriel enraciné depuis plusieurs siècles sur leur territoire et soutiendront le projet de SCOP.

Une association « Autour des forges de Cran » sera constituée afin d’assurer la transmission des savoirs et des savoir faire entre les anciens salariés de la Compagnie alpine d’aluminium et les nouveaux embauchés.

Une forte implication du réseau des SCOP

L’Union régionale des Scop de  Rhone Alpes accompagnera en permanence le projet, en particulier en mettant une personne  à disposition pendant 3 mois.

Situation en 2017

Le pari est gagné

Selon les déclarations du PDG

 « Nous sommes partis avec 65 salariés fin 2015, et nous avons recruté 30 personnes sur les 18 premiers mois. Nous avons retrouvé l’équilibre depuis septembre 2016 et pour 2017, nous avons déjà 17 % de commandes supplémentaires », précise Grégoire Hamel. (Dauphiné du 23 février 2017)

Rajoutons que le nombre d’associés est passé de 43 à 48.

Malgré quelques difficultés

Le développement nécessite des recrutements et des formations de personnes acquises aux valeurs de la SCOP. La vétusté du matériel freine la croissance et des investissements nouveaux  doivent être financés. Les banques montrent quelques réticences à accorder de nouveaux prêts, mais aux dernières nouvelles, l’Etat apporterait sa garantie.

Il est bien dommage que ces exemples réussis de reprise en Scop ne soient médiatisés qu’à un niveau local.
Il est regrettable que l’argent public versé aux entreprises (CIR, CICE …), sans contrepartie, ni contrôle et sans effet sur l’emploi, ne soit pas utilisé plus efficacement dans le soutien aux SCOP.

Sources

Comptes de la Compagnie Alpine d’Aluminium 2005 à 2013
Journée d’étude « Les pouvoirs de transformation des SCOP, entreprises et territoires » (31 mars 2017- Université de Grenoble Alpes, sous la direction  d’Hervé Charmettant –projetscop.blogspot.fr )
Vidéo Robert Louis Meynet (administrateur judiciaire)
Vidéo 8 Mont Blanc janvier 2017 « Vue d’ici »
Radio France Bleu Pays de Savoie: Entretien du 16 février 2017
Acteurs de l’économie du 15 juillet 2015
Le Dauphiné libéré du 23 Février 2017
la Croix du 10 juillet 2015
Site economie.gouv/fr article du 17 juillet 2015
Site de la Compagnie alpine d’aluminium
Site de l’URSCOP

Twitter Facebook PDF Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Commentaires

curis martine dit :

Encore une réalisation positive! Merci
Je ne pensais pas que l’on parle de PDG dans une SCOP.
Il y a toujours un point qui m’intéresse dans la gestion d’une entreprise SCOP ou autre c’est l’échelle des salaires….