La Fabrique du Sud

Pilpa et les glaces au goût acide d’un fonds de pension. La Belle Aude et les glaces au goût solidaire d’une SCOP (publié sept.2015)

Après 40 ans de bons et loyaux services dans la fabrication de crème glacée et  sorbets, l’usine « Pilpa » de Carcassonne fut vendue, à un requin, un fonds de pension américain Oaktree qui fit porter l’acquisition par sa filiale britannique R&R Ice Cream.

Les 125 salariés n’eurent pas attendre longtemps pour être dévorés par les dents de la mer. En moins de 11 mois, le site fut dépecé. Seuls éléments à ne pas être détruits mais précieusement conservés par le nouvel actionnaire, furent les marques (Disney, Oasis)

La fermeture fut justifiée par l’insuffisance de rentabilité du site de Carcassonne , la preuve du contraire fut rapidement apportée, mais  sans aucune influence sur la décision prise. Alors avec les salariés, ce fut  toute une région qui se souleva, refusant la mort sans raison d’un établissement avec ses 124 salariés. Pour la Direction R&R Ice Cream, habituée à la facilité des licenciementsRequin_glace_01 (1) à la britannique, ce fut un parcours du combattant qui dura plus d’un an.
Pendant ce temps là, les salariés, avec le soutien des élus locaux,  de la population décidèrent de reprendre  l’activité de fabrication de crème glacée et sorbets sous forme de  SCOP, « La fabrique du Sud » . Si, en 2014, seuls 19 salariés partirent dans cette aventure, le développement de l’activité est tel que des embauches sont prévues pour 2016. Le choix d’une activité de production de qualité « la belle Aude », la priorité donnée aux fournisseurs locaux  ont eu rapidement un effet multiplicateur sur les ventes.

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Historique

1971-2011  40 ans de « stabilité » 

La société Boncolac a été  créée en 1971 avec une activité agroalimentaire : pâtisseries industrielles et  glaces. L’usine de Carcassonne était un établissement fabriquant les crèmes glacées et sorbets Pilpa.

Boncolac  était filiale d’un groupe avec pour maison mère la société 3 A, et  Sodiaal Union, L’ensemble des activités du Groupe était centré sur le commerce de gros (commerce interentreprises) de produits laitiers, œufs, huiles et matières grasses comestibles.

2011-2012 : l’appétit destructeur d’un fonds de pension américain. 

A partir de 2010, l’objectif de OAKTREE, fonds de pension américain était d’être en  position dominante sur le marché français et européen des crèmes glacés et sorbets, afin de réaliser une forte plus value à la revente.

Première étape : en 2010, avec le rachat de la société Rolland, principal concurrent de Boncolac sur le marché des glaces. L’acquisition de cette société sera faite par l’intermédiaire de  R&R Ice Cream, filiale britannique du fonds de pension.  La société Rolland  employait  650 salariés sur le site de Plouedern dans le Finistère . Le propriétaire de cette entreprise, Lionel Rolland, est désigné manager France du groupe R&R Ice Cream.

Deuxième étape : en septembre 2011, avec le rachat de l’activité crème glacée et sorbets de Boncolac et les licences de marques qui allaient avec (Disney, Oasis, 
Système U …) . L’acquisition des unités  de Carcassonne et Toulouse s’effectuera à nouveau par  l’intermédiaire de la filiale R&R Ice Cream, OAKTRE n’apparaissant jamais directement.

Troisième étape : en fin d’année 2011, avec la création de la société Pilpa regroupant les 4 sites de fabrication (ex Boncolac et ex Rolland) sous une même entité juridique. Le siège social fut situé à Plouerdern, site qui va accaparer toutes les fonctions commerciales et recherche développement, privant ainsi les autres établissements de toute autonomie.

Quatrième étape : en mai  2012, avec  la décision de fermer  l’unité de Carcassonne. Les justifications économiques, le plan social et les propositions de reclassement pour les 124 salariés seront considérés comme si peu sérieuses que la Direction devra « refaire sa copie » à plusieurs reprises.

Mais l’objectif de Oaktree était atteint : par l’intermédiaire de sa filiale, le groupe R&R Ice cream, le fonds de pension dominait le marché français des marques distributeurs (glaces vendues sous le nom distributeur: Auchan, Carrefour, Leclerc….).

Dernière étape : en juillet 2013, Oaktree revend  le groupe R&R Ice cream  à un fonds d’investissement français PAI Partners. Le chiffre d’affaires 2012 du groupe R& R Ice cream était de 600 millions €, la transaction s’est établie à 850 millions € (revue LSA commerce et consommation du 10/05/2013), à ce prix là, les exigences de rentabilité de PAI Partner risquent bien d’être très lourdes.

Quelques données financières actuelles sur Pilpa et R&R Ice cream

Pilpa  (créée en 2011)

Des comptes en 2011 et 2012, peu significatifs du fait des coûts de restructuration et de licenciements supportés durant ces 2 années, les comptes 2013 et 2014 n’ont pas été déposés

R&R ice cream France SAS, maison mère française de Pilpa

Les derniers comptes publiés datent de 2012 et font apparaître un résultat d’activité de 3,7 millions € pour un chiffre d’affaire de 36 millions € soit une rentabilité de plus de 10%, ce qui est une bonne performance..

Des conditions scandaleuses de fermeture

Aucune justification économique

La stratégie du groupe R&R, sous contrôle de OAKTREE parait donc assez limpide : devenir le numéro 1 de la glace pour supermarché, et pour cela acquérir toutes les marques.

L’objectif final étant d’intensifier les profits en vue de la  revente ultérieure, il fallait donc restructurer pour optimiser les marges.

Contrairement aux affirmations du manager France, l’activité de crème glacée et de sorbets de Boncolac était parfaitement rentable.

En effet, au moment de la cession, les raisons avancées par le directeur général du groupe 3A  sont claires «ce n’est pas une question de rentabilité. Il s’agit d’un recentrage stratégique des activités du groupe »,(dépêche du midi 15 juin 2011).

En outre, le rapport établi en mai 2012 par le cabinet d’expertises comptables désigné dans le cadre d’un droit d’alerte par les élus du comité d’entreprise ne laisse aucun doute :

« Pilpa demeure viable grâce à son savoir-faire et à son marché de niche. (…) Cette entreprise a redynamisé son chiffre d’affaires et ses volumes à partir de 2009. (…) Sur les huit premiers mois de 2011, selon R & R monde, Pilpa dégage une marge brute de 10 M €, soit 27 % de son chiffre d’affaires. En 2011, le taux Ebitda (revenu brut), positif de 13 %, est supérieur à celui du groupe R & R ». (cité dans  « l’indépendant » d’aout 2012).

Et les carnets de commande étaient pleins

La véritable raison : l’optimisation du profit du fonds de pension

Il suffit de lire les informations du site de Oaktree

« Parmi les clients mondiaux ; Oaktree compte 100 des plus importants régimes de retraite Global sur les 300 existants, 75 des plus grands plans de retraite des Etats-Unis sur les 100 existants… »etc,etc….

« Notre objectif est l’excellence dans l’investissement. Pour nous, cela signifie l’obtention de rendements attrayants, sans risque proportionnel, …. »

«  Oaktree fournit la gestion de placements dans un nombre limité de marchés de niche spécialisés où nous pensons que le potentiel de récompense l’emporte sur le risque encouru »

Le sort de 124 salariés était donc bien éloigné des préoccupations d’OAKTREE

Une procédure cynique et expéditive

Dans le  premier  plan social, seule une dizaine de reclassements, dont certains en Pologne et en Angleterre, sera proposée aux 124 salariés. Et le groupe R&R Ice cream devra présenter un deuxième puis un troisième plan social avant d’en obtenir la validation.

De même, les offres de reprise seront systématiquement refusées par le Groupe, celui-ci voulant à tout prix éliminer toute concurrence. Où sont donc passés les sacro-saints principes de concurrence libre et non faussée ? Le fameux libéralisme économique n’est invoqué que lorsqu’il sert les intérêts des multinationales.

Une résistance active

Mais la résistance des salariés avec le soutien des élus locaux et de la population contraindra le groupe R&R Ice cream à des compromis.

Il se verra obligé de vendre les locaux à la collectivité, Carcassonne agglo,  de verser une subvention , en sus des indemnités de licenciement, à la nouvelle entité créée par les salariés sous forme de SCOP. En contrepartie, cette dernière s’engageait à ne pas utiliser les recettes de fabrication de glace Pilpa.

Création de la  SCOP, la fabrique du Sud

Les principales caractéristiques

Les créateurs : 27 sociétaires et 19 salariés, tous ex Pilpa, qui investiront leurs indemnités de licenciement, les aides de Pôle emploi, soit un montant moyen de 20 000 € par salarié.

L’activité sera orientée sur des « produits nobles », pour « se démarquer de la glace industrielle »  : lait frais entier, absence d’huile de palme, ingrédients sans arômes ou colorant artificiels. Les matières de base sont, prioritairement achetées localement  comme le traduit le choix du nom de marque « la belle Aude ».

Des soutiens :  l’agglomération de  Carcassonne rachéte le bâtiment  pour 1,7 million d’euros et en loue une partie à la SCOP à prix modéré.  Une association , les amis de La Fabrique du Sud, se constitue pour en assurer le rayonnement et le développement, et compte 800 adhérents.

Des apports pour financer les investissements : les salariés avec leur apport, la Région Languedoc Roussillon avec une subvention, le crédit coopératif avec un prêt, et R&R avec des dons « arrachés » en matériel et  trésorerie.

Des formations pour les salariés, tant au niveau des techniques de production que de la maintenance et de la gestion commerciale et financière.

Une assistance permanente de l’Union Régionale des SCOP.

Activité et développement de la SCOP

L’activité démarre en avril 2014 avec un objectif de chiffre d’affaires de 640 000 €. Prévision dépassée, car l’année 2014 dégagera un chiffre d’affaires de 750 000 € et un résultat légèrement excédentaire. Et le développement se poursuit en 2015.

La commercialisation s’effectue à travers les points de vente (super et hypermarchés), dont le nombre se multiplie à grande vitesse : de 37 points de vente au départ  à 173 début 2015 à 240 durant l’été 2015…avec un redéploiement géographique vers le grand sud ouest et  le sud est.

Un bel exemple à suivre, d’autant que la loi sur l’économie sociale et solidaire du 2 août 2014  facilite la reprise et prévoit des mesures de soutien aux SCOP.

Sources

  • Comptes financiers 2011 et 2012 Pilpa et R&R Ice  cream
  • Sites internet : La Fabrique du Sud, R&R ice cream, Oaktree
  • Articles de presse : Dépêche du Midi,Usine Nouvelle, LSA Commerce et Consommation, L’Indépendant (rapport du cabinet d’expertise mandaté par les élus du CE), l’Humanité, le Parisien, le Figaro … Emission France TV Info.
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