MEGEVE – La station de luxe

Le déficit abyssal et troublant de l’exploitation du domaine skiable (publié mars 2017)

Les remontées mécaniques  des  trois communes, Megève, Demi-Quartier et Saint-Gervais étaient gérées, jusqu’en 2015, sous délégation de service public,  par une Société  d’Economie Mixte.

La commune de Megève  avec 63% des parts en était l’actionnaire public, et la Société Française des Hôtels de Montagne, (SFHM – groupe Rothschild), le principal actionnaire privé, avec 24% des parts.

A fin 2015, la  situation financière de la SEM est catastrophique avec des déficits cumulés de 13 millions €, alors que la station de ski dispose d’un atout majeur, la fortune de ses clients.

Dans un rapport de janvier 2017, la chambre régionale de la cour des comptes dénoncera des erreurs de gestion, des largesses injustifiées, et des comportements délictueux.

Bien que jamais désignées nominativement, trois personnes sont mises en cause :
Sylviane Grosset-Janin, maire de Megève jusqu’en 2014,  présidente du conseil d’administration et directrice générale, principale responsable des décisions de gestion.
Jean Luc Delobel, directeur délégué, très (trop) bien rémunéré malgré des erreurs de gestion manifestes, et un détournement de fonds public.
Hervé Kruger du cabinet Galet Oldra, Commissaire aux comptes, qui a certifié les comptes sans émettre la moindre réserve sur des faits dont il avait parfaitement connaissance.

Les principales victimes de cette gestion seront  les contribuables de Megève et le personnel saisonnier, ce dernier subissant  de plein fouet les mesures d’ajustement.

Une autre conséquence sera le vieillissement des remontées mécaniques, lié à une insuffisance d’investissement.

En 2015, la nouvelle municipalité de Megève vendra ses parts à une société privée, la Compagnie du Mont Blanc ; les effets de la privatisation seront immédiats, baisse de l’effectif  et distribution de dividendes.

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Principales causes de la situation financière

La saga du directeur délégué de la SEM

Des évolutions de statut incohérentes et coûteuses

En poste depuis 1977, Jean Luc Delobel occupe un poste de direction à temps partiel (80%), avec un  statut alternant entre mandataire (2008/2011) et salarié (2011/2015).

« Au total entre 2008 et 2015, la rémunération du directeur général délégué a présenté un coût de 1,4 M€ pour la SEM des remontées mécaniques de Megève.  Le conseil d’administration en a garanti le niveau à l’intéressé alors même qu’il l’avait révoqué de ses fonctions en septembre 2011 au motif qu’il était responsable des difficultés financières de la société. » (p12 et 13)

Précision surprenante :  révoqué comme mandataire en septembre 2011, car considéré comme responsable des difficultés financières, JL Delobel percevra  une indemnité de rupture de 120 000 € (p 12). Encore plus incompréhensible,  à la même date, il sera remis dans une fonction de directeur administratif salarié avec les mêmes attributions  et au même niveau de rémunération que précédemment !

Une occupation illégale de locaux

« Le directeur général délégué s’est donc attribué pendant près de vingt ans l’usage à des fins personnelles de locaux appartenant à la SEM, en contrepartie d’un loyer avantageux et sans que le conseil d’administration ne l’y ait autorisé ».(p 13)

Verser une location annuelle de 1300 € pour une surface de 126 m2 située à Megève (p 13) ressemble plus un détournement de fonds public qu’à « un avantage ». Selon nos calculs, le montant, ainsi détourné,  serait de l’ordre de 500 milliers €.
En 2015, JL Delobel n’est plus salarié et  a rendu les locaux, mais a-t-il remboursé ?

« Des décisions de gestion contraires à l’intérêt de la société »

Des forfaits gratuits ou des remises ont été accordés, pour une grande part en dehors de tout cadre légal, sans justification commerciale et  pour un coût de 11 millions € sur 7 ans.

« La SEM, exploitante du domaine, peut décider de distribuer des forfaits gratuits ou à prix réduit dans le cadre de sa politique commerciale afin d’attirer la clientèle, de développer son activité et celle de la station. » (p 15)

« En tant que délégataire du service public des remontées mécaniques, les conditions de prix qu’elle peut pratiquer à cette fin doivent toutefois être approuvées par le conseil municipal. » (p 15)

« Or, la direction de la SEM a distribué hors de tout cadre juridique et à des fins parfois étrangères au développement commercial de la société, près de dix mille titres gratuits chaque saison … »( p 15)

« La comptabilisation de l’ensemble des gratuités et remises accordées aboutit à un manque à gagner total pour la société que la chambre estime à au moins 1,5 M€ par an soit 11 M€ sur sept ans »(p31)

La liste des bénéficiaires de gratuités ou de remises, des actionnaires aux élus locaux, en passant par la PAF de l’aéroport de Genève, est fournie dans les pages  15 à 20 du rapport.

Des reventes de biens à prix bradés

Parking de Rochebrune

Construit  en 2002, sur demande de la commune de Megève, ce parking de 400 places coûtera à la SEM un montant de 8,9 M€, et sera constamment déficitaire. Il sera revendu en 2012  à la commune de Megève, à un prix bien inférieur à sa valeur réelle.

« La SEM a ainsi construit en 2002 puis exploité à perte dix ans durant, à la demande de la commune de Megève, un équipement coûteux et accessoire à son objet social, que la commune a finalement repris en contrepartie d’une indemnité inférieure de 1,66 M€ à celle que la société pouvait exiger » (p 22)

Parking du Mont d’Arbois

Construit en  en 2007-2008, sur demande de la commune, ce  parking souterrain de 300 places, d’un coût de 7,3 millions €, représentera, en final,  une charge globale de 12,6 millions €, du fait de son financement par crédit bail. Son exploitation sera constamment déficitaire.(p 22)
Repris, en 2015 par   la commune de Megève, celle-ci honorera  les dernières échéances de crédit bail mais ne versera aucune indemnité, contrairement à la jurisprudence du Conseil d’Etat. (p 22)

Chalet de la garderie du Mont d’Arbois

En 2008, la SEM assure le coût de cette construction d’un montant de 622 milliers  €, mais elle le fera dans un flou juridique « Le chalet a donc été construit et utilisé dans un vide juridique » (p 23), aucune SCI n’a été constituée contrairement à ce qui était prévu.
Pendant 6 ans, ce chalet sera principalement utilisé par la SFHM (actionnaire privé de la SEM) et ses filiales  sans contrat de location ni versement de loyer.(p 23)
En septembre 2015, la SFHM (groupe Rothschild) rachètera le chalet pour 150 milliers € (p 24)

« La SFHM, qui a in fine récupéré la pleine propriété du bien pour un prix très faible, ressort donc comme le principal bénéficiaire de l’opération. » ( p 24)

Principal bénéficiaire ou responsable d’abus de biens sociaux ?

Un patrimoine immobilier loué à prix bradés

La SEM dispose d’un patrimoine immobilier loué principalement à des commerçants :

« Elle exige toutefois des occupants des loyers rarement supérieurs à 50 €/m² alors que le prix moyen d’un local commercial à Megève s’élève au moins à 261 €/m², celui d’un local d’habitation à 144 €/m² et celui d’une terrasse à 59 €/m2… » ( p 33)

« La SEM a ainsi négligé un levier d’optimisation de son chiffre d’affaires, dont la chambre estime qu’il aurait pu lui rapporter jusqu’à 530 k€ supplémentaires par an » (p 33)

Une communication opaque

Les rapports annuels et les rapports aux délégataires ne respectaient pas les obligations légales de présentation et de contenu :

« Cette situation témoigne à la fois de la défaillance de la SEM dans son obligation de rendre compte de son activité aux communes délégantes, et de la négligence de celles-ci dans le suivi et le contrôle du service rendu dont elles demeurent responsables ». (p 14,15)

Une comptabilité non conforme aux règles comptables

Des provisions auraient dû être constituées :  litige « petit montagnon », engagement de retraites et dépréciation des titres de la SEM du Mont Blanc. Elles ne l’ont pas été, en violation du principe de prudence (p25,26)

Les responsabilités du commissaire aux comptes

Hervé KRUGER, Expert-comptable et commissaire aux comptes, Expert judiciaire, P-DG du cabinet, Galet Oldra SA, auteur de nombreux ouvrages sur la fiscalité.

Sur l’occupation des locaux par le directeur délégué pour un loyer annuel de 1300 € .

Selon le rapport, le commissaire aux comptes connaissait cette situation et aurait dû la signaler, depuis de nombreuses années, dans le rapport spécial sur les conventions réglementées. Il aura fallu attendre l’intervention de la chambre régionale pour que le commissaire aux comptes établisse en 2014/2015 ce document obligatoire. Il justifiera l’absence de déclaration antérieure par le terme « omission ». (p 13)

Sur l’absence de constitution de provisions pour le litige « Petit Montagnon »

« Le commissaire aux comptes n’a émis aucune réserve sur ce point dans ses rapports annuels successifs. Il n’a alerté la présidente directrice générale que le 31 juillet 2012, soit cinq ans après la naissance du risque et près de deux ans après la condamnation définitive de la SEM. » (p 25)

Sur la  dépréciation des participations dans la SEM du Mont Blanc

Le commissaire aux comptes aurait dû signaler que la valeur des titres de la SEM du Mont Blanc était très largement surévaluée dans les comptes.

« la chambre …….s’étonne que le commissaire aux comptes ait certifié sans réserves les comptes de l’exercice 2014/2015 alors même que la dépréciation constatée déjugeait l’évaluation des titres réalisée jusqu’alors et certifiée par lui. » (p 26)

En 2015, le contrat du cabinet  Galet Oldra ne sera pas renouvelé, le cabinet Mazars lui succédera.

Conséquences de la situation financière

Sur les 7 années contrôlées, le total des déficits est de 3,3 millions €, montant qui se cumule avec les déficits antérieurs de 10 millions € (p 36)

Baisse de la rémunération du personnel  saisonnier

Le rapport note que les charges de personnel n’ont augmenté que de 3,5% en 7 ans

« Cette maîtrise apparente est toutefois permise par un ajustement sur les emplois saisonniers, dont certains ont été transformés en emplois permanents. La masse salariale des employés permanents a en effet davantage progressé que la masse salariale globale. Leur salaire brut moyen a augmenté de 23 % entre 2008 et 2015, soit d’environ 3 % par an. » (p 34)

Les rémunérations des saisonniers ont donc été la variable d’ajustement, le salaire moyen annuel aurait diminué, selon nos calculs,  entre 3% à 12%, entre les saisons 2008/2009 et 2014/2015.

Insuffisance d’investissement

« Le parc des remontées mécaniques exploité par la SEM présente une moyenne d’âge élevée de 26 ans. Si la société s’est conformée à ses obligations réglementaires d’entretien et de renouvellement, elle n’a pas procédé à la construction ou à la modernisation d’un téléporté depuis 2005. » (p 37)

La privatisation en 2015

La nouvelle municipalité élue à Megève en 2014  a décidé, en 2015, de vendre ses parts à la Compagnie du Mont Blanc, société privée exploitant déjà les remontées mécaniques de Chamonix et des Houches. La SEM devient une société anonyme de droit privé (p 6)

Rapport de gestion 2015/2016

L’analyse de la première année d’exploitation par cette nouvelle société privée peut paraître inquiétante. Les comptes sont sur 13 mois , la comparaison se fera au prorata de 12 mois.

Un chiffre d’affaires de 16 millions € comparable à celui des années précédentes.
Une baisse de l’effectif moyen, de 119 salariés à 107 salariés et une augmentation de 11% du salaire moyen  passant de 2786 € à 3 083 €.
Un bénéfice net de 4,9 millions € , dont 1,9 million distribué  en dividendes.

Ce résultat particulièrement élevé provient d’écritures comptables exceptionnelles et non d’une amélioration de la rentabilité d’exploitation. La distribution de dividendes dans ces conditions, peut paraître inquiétante pour l’avenir.

Sources

Rapport de la chambre régionale des comptes, http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Societe-d-economie-Mixte-des-remontees-mecaniques-de-Megeve-74-rapport-d-observations-definitives-2017
Rapports de gestion 2015/2016, 2014/2015, 2011:2012

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