Norbert Dentressangle

Sous traitance low cost dans le transport et un nouvel actionnaire américain (publié sept.2015)

En 35 ans de vie, la petite entreprise aux 6 camions est devenue un géant mondial  à l’activité diversifiée : transport , logistique et prestation d’organisation de transport.

Crapaud

Les actionnaires constitués pour plus des deux tiers par la famille Dentressangle ont bénéficié d’un niveau de rémunération de capital  très satisfaisant, malgré les « faibles marges » dégagées dans ce type d’activité.

La pression sur les salaires  des personnels d’exécution s’est exercée par des mesures à la limite de la légalité. Le niveau du recours  à l’intérim dans la logistique pose la question de la conformité avec le code du travail . Mais plus encore la sous-traitance  du transport sur le territoire français à des filiales polonaises et roumaines aurait pu s’assimiler à du « prêt illicite de main d’œuvre », mais un jugement du tribunal  en 2015 a validé cette pratique.

En outre, comme dans beaucoup de Groupes, l’organisation juridique et financière permet de faire apparaître des déficits dans les entreprises d’activité  et des bénéfices dans les filiales satellites.

En 2015, la cession de ND à un groupe américain XPO logistics, associé à des fonds de pension risque bien de bouleverser la donne. Si les conditions de la vente sont particulièrement avantageuses pour les actionnaires, elles ne le sont pas pour les salariés. Le niveau de la transaction, le peu d’engagement pris sur le maintien de l’emploi et la stratégie de XPO en matière de sous-traitance constituent autant de motifs d’inquiétude pour l’emploi.

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De la petite entreprise au géant mondial

Fondée en 1979 par Norbert Dentressangle  à Saint-Valliersur-Rhône (Drôme) la société portant le même nom que son fondateur développa une activité dans  le transport routier de marchandises entre le continent européen et la Grande-Bretagne. Les moyens mis en œuvre au départ sont de  six camions “semi-remorques” de 38 tonnes.

Au cours des 35 années suivantes, la croissance sera assurée par trois facteurs : des investissements en interne, des acquisitions d’entreprises et une diversification de l’activité vers la logistique et la prestation de services d’organisation de transport à travers le monde « Air & Sea »

En 2014, Le Groupe est présent dans 25 pays, au travers de 662 sites, et tout particulièrement en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis ainsi qu’en Espagne. Les effectifs sont de 42 468 salariés, essentiellement des CDI et à temps complet, dont 16 500 en Grande Bretagne et  12 588  en France,

En 2014, le chiffre d’affaires total du Groupe est de 4,7 milliards €, en hausse de 16% sur un an, le résultat net de 75 millions € en hausse de 8% sur un an

Le transport représente 45% du chiffre d’affaires, la logistique 50% et « Air & Sea » 5%

Une forte rentabilité du capital

Le résultat atteint  75 millions € en 2014, représentant ainsi une rentabilité de 200% du capital investi, le dividende versé de 18 millions € en augmentation de 21% sur un an représente une rémunération de 50% du capital investi

Un pactole de plus value pour les actionnaires

En avril 2015, la famille Dentressangle vend ses parts (67% du total) à un groupe américain XPO La plus value réalisée dépassera largement le milliard €, et pour le restant des actions, XPO lance une OPA et au total versera 2,17 milliards La différence entre les 38 millions € et les 2,17 milliards € sera versée intégralement aux actionnaires

En outre XPO rachètera une dette et déboursera en tout un montant de 3,4 milliards €.

La rentabilité du capital et l’attractivité du Groupe ont été obtenues par une politique sociale « sans faille »

L’activité de transport et de logistique génère des besoins importants en main d’œuvre et l’objectif premier et fondamental pour la Direction est d’en limiter le coût

Le but est atteint : le niveau des salaires est bas et sans véritable progression

Un peu plus des deux tiers des effectifs du Groupe sont des ouvriers et employés d’entrepôt (43 %) ou des conducteurs (27 %). Le taux d’encadrement est de 10 %.

Le salaire d’un conducteur (hors intéressement et participation) est de 1860€ brut, celui d’un ouvrier de 1701€ brut, les augmentations en 2014 ont été de 1,9% dans la logistique, de 0 ,7% dans le transport et de 1,6% à « Air & Sea ». Pour l’ensemble du Groupe l’augmentation moyenne a été de 1,6%.

La masse salariale totale représente 30,4 % du chiffre d’affaires en  2014 à comparer avec les 31,0 % de 2013, cet écart de pourcentage représente une économie de 28 millions €

Les différents facteurs d’économie sur les salaires

Par l’utilisation de l’argent public

le CICE rapporte un montant de 18 millions €, en 2014, soit  7 millions € de plus que l’année précédente

Par le recours à du personnel non salarié :

Intérim pour la division logistique, sous-traitance pour la division transport

En 2014, le recours à l’intérim a représenté  29,6% de la masse salariale dans la division  logistique. La Direction invoque les variations d’activité pour justifier un tel pourcentage, ce qui laisse quelque peu sceptique

Dans le transport, le recours à la sous-traitance s’effectue auprès de filiales du Groupe et auprès d’entreprises hors Groupe

En 2014, le recours à la sous-traitance hors groupe représente 40% de l’activité. Pour justifier un tel pourcentage, la Direction invoque des pics d’activité, des besoins matériels spécifiques  mais aussi  « le développement de ses activités d’organisateur de transport et d’affréteur »

La sous-traitance dans le Groupe prend une forme bien particulière avec le développement au début des années 2000 des filiales « aux standards Norbert Dentressangle » en Roumanie et en Pologne. L’objectif initial était de disposer d’entreprises de transport aux normes sociales locales  pour des prestations locales. Aujourd’hui, ces entreprises de transport polonaise et roumaine réalisent la moitié de leurs prestations en sous-traitance  en Europe de l’Ouest et notamment en France.

La question de la légalité de cette sous-traitance est posée : en effet trois sociétés françaises utilisant  cette sous-traitance  se sont vues notifiées par l’URSSAF des redressements d’un montant total de 33 millions d’euros.

En outre une plainte a été déposée par les syndicats contre le Groupe pour  délit de marchandage, prêt illicite de main d’œuvre à but lucratif .

Mais dans un jugement du 5 mai 2015, les magistrats de Valence, ville  qui abrite le siège social du Groupe, ont suivi l’avocat de ND qui invoquait la nullité de procédure.

Mais ces mesures ne sont pas sans effet sur les relations sociales ainsi que le reconnaît  le document de référence 2014

« En particulier, le Groupe est exposé au risque de blocage de ses sites par des grévistes du Groupe ou des grévistes de sites géographiquement proches de ceux du Groupe, aux risques liés à la survenance de grèves générales et à celui du blocage des routes en raison de mouvements de protestations sociales de grande ampleur. En 2013, par exemple, le Groupe a connu un mouvement de grève de ses conducteurs en Pologne lequel n’a néanmoins pas bloqué les activités du Groupe en Pologne grâce au recours à d’autres ressources opérationnelles du Groupe »

Le document est muet sur « ces autres ressources opérationnelles

Par une organisation juridique et financières permettant de masquer les véritables résultats

Dans chacun des secteurs ,    transport , logistique, et  prestations « Air & Sea », des sociétés opérationnelles ont été créées pour  assurer l’activité en direction des clients.

De même, dans chacun des secteurs,  des sociétés « satellites » holdings, et  sociétés de service en tout genre, ont été créées avec, pour seule fonction, la  facturation de prestations aux sociétés opérationnelles..

Prenons l’exemple du Transport : les sociétés opérationnelles sont réparties sur le territoire : Nord, Sud, Ouest, Est, Ile de France et dans certaines régions : Champagne, Limousin …, la plupart d’entre elles présentent des déficits, à l’instar du Nord avec 4 millions € de déficit en 2013, même si certaines dégagent des résultats faiblement positifs comme l’Ile de France.

A  l’inverse, les sociétés de services dégagent des excédents, le plus important étant celui de ND location avec un résultat d’exploitation de 22 millions € en 2013 et ceci sans avoir eu à rémunérer un seul salarié !

Il en est de même des sociétés holding :  par exemple, NDT est la maison directe dédiée au transport. Les facturations de services aux filiales  dégagent un excédent  de 3 millions € et les dividendes perçus sont de 22 millions €

Pour l’ensemble des 3 secteurs d’activité, la maison mère est Norbert Dentressangle. Ses actionnaires sont (étaient) la famille Dentressangle qui détient (détenait) directement ou indirectement 67,17% des actions. Les 32,83% restant sont essentiellement détenues par du public.

Le résultat dégagé, à partir des facturations faites aux filiales et des remontées de dividendes est de 82 millions € en 2013 (29,7 millions € en 2012 et 15,2 millions en 2011)

En conclusion,  la famille Dentressangle, très majoritaire jusqu’en avril 2015 a pu rémunérer   son capital à hauteur de 50% de la mise de départ, et elle est aujourd’hui « à l’abri du besoin », avec le 1,4 milliard € de plus value réalisée à la vente de ses parts

Par contre pour les salariés, on peut craindre le pire quant aux exigences de rentabilité d’un groupe qui aura dépensé 2,4 milliards € ! D’autant que XPO ne s’est engagé à maintenir l’emploi que sur une durée très limitée : 18 mois . Ce géant américain qui s’est construit en quelques années est associé à des fonds de pension aux intérêts à court terme et a pour stratégie exclusive le recours à la sous-traitance. Le jugement du tribunal de Valence lui ouvre tout grand les portes de la sous-traitance « low cost »

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