Petite chaudronnerie
Son avion, ses dividendes et ses sombres perspectives (publié janv.2016)
La SA CHODRO (nom modifié) est une entreprise de moins de 20 salariés, spécialisée dans les pièces de chaudronnerie servant à la production sidérurgique.
Son activité n’est pas soumise à une forte concurrence, mais son développement est limité par la désindustrialisation de la France.
Le chiffre d’affaires n’a pas connu de fortes variations au cours de la dernière décennie, par contre, la fluctuation des résultats est importante.
Cependant les principales caractéristiques de cette société ne résident pas dans son activité et sa rentabilité mais dans les pratiques de ses dirigeants.
Entre 2003 et 2013, Bertrand Grondin (nom modifié) sera l’associé unique et semble avoir utilisé la société pour financer l’achat de son avion personnel. En outre, il prélèvera l’intégralité des résultats en dividendes.
Lors de la cession de l’entreprise au cours de l’année 2014, ce dirigeant semble avoir racheté l’avion pour une somme bien modeste. Ainsi, à son départ, l’entreprise se retrouve sans réserves pour faire face aux aléas liés à la nature industrielle de l’activité.
Le nouvel associé, Patrick Durand (nom modifié), possède déjà 5 entreprises, holdings, SCI et SARL, ce qui peut faire craindre une politique de transfert de marge. En outre, l’envolée de la masse salariale au cours de l’année 2014 parait bien curieuse dans un contexte de réduction des effectifs, de baisse du chiffre d’affaires et d’un déficit record. A qui a profité cette générosité ?
L’avenir de cette petite chaudronnerie paraît bien sombre, la dégradation de l’activité industrielle et le coût du travail seront une nouvelle fois stigmatisés, sans que les pratiques des dirigeants ne soient jamais dénoncées.
Présentation de la société
Située dans l’Est de la France, la SA CHODRO, société par actions simplifiée à associé unique créée dans les années 80, est spécialisée dans la fabrication de fours et de brûleurs.
Les pièces produites, fours à arc, poches de coulée sont d’une dimension et d’un poids tels que la proximité avec les clients, des entreprises sidérurgiques, est déterminante.
Sur le territoire national, la concurrence reste relativement faible, du fait de la lourdeur des investissements et du contexte de désindustrialisation.
Sur la dernière décennie, l’entreprise sera dirigée successivement par deux associés.
De 2003 à 2013, elle sera gérée par Bertrand Grondin.
Dans le courant de l’année 2014, la SA CHODRO sera vendue à une société Holding JEF, dont l’associé unique est Patrick Durand.
Période 2003/2013
Une vie économique stable, malgré quelques mouvements chaotiques
Le montant des ventes ne connaît guère de fluctuations, le chiffre d’affaires oscille autour de 2 millions €.
Le nombre de salariés reste inchangé, entre 17 et 18 salariés, jusqu’en 2012, puis se réduit en 2013 à 14 salariés.
Quant au salaire moyen annuel, il se situe autour des 30 000 € (salaire du dirigeant inclus ?), sans variation importante au cours de la période.
L’évolution du résultat net est beaucoup plus erratique avec une alternance de bénéfices et de déficits.
Cependant le cumul des résultats de 2003 à 2013 reste largement positif avec un montant de 750 milliers €.
Mais des choix de gestion surprenants et contestables
Un avion dans la chaudronnerie !
L’analyse des comptes fait apparaitre dans la liste des équipements, un moyen de transport d’une valeur de 310 milliers €, alors qu’aucun véhicule ne semble être utilisé dans l’entreprise. En effet, le transport des pièces est assuré par le client.
Trois informations vont permettre de comprendre la nature de cet engin.
– Bertrand Grondin était, dans ses loisirs, pilote d’avion et il était de notoriété publique qu’il en possédait un.
– Le prix de 310 milliers € correspondrait à la valeur d’un Cessna Citation II de 1979 avec 12 000 heures de vol au compteur.
– Au moment de la cession de l’entreprise, ce moyen de transport d’une valeur de 310 milliers € sera vendu, pour la modique somme de 50 milliers €, à Bertrand Grondin.
Il apparaît donc quasiment certain que ce dirigeant aurait fait supporter la charge de son avion personnel par l’entreprise, avec un coût de 260 milliers € (310-50).
Certes, il l’utilisait parfois pour aller voir des clients. Mais cela ne peut absolument pas justifier le financement de l’achat par l’entreprise. Et on peut aussi se poser la question sur la prise en charge des frais de gestion de l’appareil :maintenance, assurance, hangar…: l’entreprise ou Bertrand Grondin ?
Dans l’annexe comme dans les rapports du commissaire aux comptes, aucune explication n’est apportée sur l’existence et la vente de cet engin de transport.
Pour l’administration fiscale, il semblerait, au vu des comptes, qu’une partie du coût de l’avion était réintégrée dans le résultat fiscal, ce qui signifierait que la collectivité n’aurait pas été lésée.
Par contre, pour l’entreprise c’est une lourde charge qui pourrait être qualifiée, si les faits étaient confirmés, d’abus de biens sociaux.
Et un maximum de prélèvements de divide
Sur l’intégralité des résultats cumulés de 750 milliers €, Bertrand Grondin prélèvera en dividendes, un montant de 730 milliers €, laissant généreusement à l’entreprise la somme de 20 €.
Un avion, des dividendes, peut-être bien aussi des salaires et une plus-value réalisée sur la vente de l’entreprise : Qui aurait pu croire qu’une petite chaudronnerie pouvait être aussi lucrative pour son dirigeant ?
Conséquences : un coût élevé et pénalisant pour l’entreprise
Pour un capital investi à l’origine dans la société CHODRO d’un montant de 800 milliers € , celle-ci aura dû supporter, en une décennie, le coût de l’avion, pour 260 milliers € ainsi que des dividendes de 730 milliers €.
Année 2014
Un associé multicartes
Le nouveau dirigeant Patrick Durand possède plusieurs entreprises, toutes situées à la même adresse, une holding JEF, une entreprise de réparation, trois SCI, une autre holding financière. La multiplicité des structures pour un seul associé laisse toujours perplexe car elle peut faciliter les transferts de marge entre les différentes sociétés
De gros nuages noirs
La situation financière de la SA CHODRO se dégrade : chute du chiffre d’affaires, baisse des effectifs, il ne reste plus que 12 salariés en 2014 et un déficit record de 304 milliers €.
L’avenir paraît bien sombre pour cette petite chaudronnerie, privée de toute réserve du fait des charges indues de l’avion et des prélèvements systématiques de dividendes et qui se retrouve ainsi totalement démunie pour faire face aux aléas économiques
Une forte hausse des salaires
Le montant de la masse salariale progresse de 45 milliers € (avant déduction du CICE). Or la réduction des effectifs aurait dû, au contraire, générer une économie de d’environ 55 milliers €. C’est donc l’équivalent d’un surplus de 100 milliers € de salaires qui a été distribué dans l’entreprise en 2014.
Plusieurs hypothèses possibles :
– Une augmentation de 28% pour l’ensemble des salariés? Un accès de générosité peu probable.
– Des indemnités de licenciement ? Le montant paraît beaucoup trop élevé.
– Une prime d’adieu pour le dirigeant partant ?
– Une prime de bienvenue pour le dirigeant entrant?
Le CICE a été de 18 milliers €, noyé dans l’augmentation de la masse salariale, mais qui en a réellement bénéficié ?
Bien évidemment, une fois de plus seront stigmatisés la rigidité de la législation sociale et le coût du travail. Aucune mention ne sera faite sur le coût de la gestion des dirigeants.
Si, du fait de la petite taille de cette entreprise et de son caractère très individuel, les noms des personnes et des sociétés ont été changés, toute ressemblance avec une entreprise existante n’aura rien de fortuit !
Sources
Comptes financiers 2003-2014 pour la société CHODRO
Annexes et rapport du commissaire aux comptes : 2011-2014
Infogreffe : liste des entreprises par dirigeant
Site internet de la société
Laisser un commentaire