FAVI- LAITON INJECTÉ 2016

De lourds nuages noirs menacent l’entreprise « chouchou » des médias (juillet 2017)

Située dans le département de la Somme,  la Favi constitue l’exemple le plus médiatisé  du mouvement des «entreprises libérées».
Son dirigeant historique JF Zobrist, actuellement à la retraite, enchaîne les conférences dans le monde entier pour exposer sa philosophie du « bonheur au travail ».

Dans la réalité, ce management dit « original »  a surtout profité à la société mère Afica et à ses deux actionnaires. La famille Rousseaux et le fonds spéculatif Salvepar ont amassé des dividendes juteux, fruit de la pression permanente exercée sur les salariés.

Depuis deux ans, une nouvelle stratégie semble se dessiner, comme en témoignent, sous anonymat, certains salariés.

En 2014, la création d’un syndicat réformiste a permis à la Direction de faire signer un accord de gel des salaires, suivi en 2017 d’un plan de départ volontaire.

En 2015, l’installation de pointeuses sur les machines et la limitation stricte des temps de pause traduisent l’abandon des principes fondamentaux de l’entreprise libérée.

Enfin l’interdiction faite au personnel de s’exprimer publiquement pourrait servir à masquer une réalité bien éloignée de belle image de la Favi.

Mais le plus inquiétant est le montant de la trésorerie à fin 2016 : les deux actionnaires, si avides de rentabilité, laissent dormir 37 millions € (18 à la Favi et 19 à AFICA), sur des comptes en banque très faiblement rémunérés.

Quels sombres desseins poursuivent ces dirigeants pour cumuler autant d’argent improductif  et  brandir sans cesse la menace de la concurrence chinoise ?

Pour la société Afica,  à la fois maison mère et fournisseur  de la Favi, la situation semble meilleure pour le personnel. Malgré une baisse de l’activité, le résultat reste largement positif et  la rémunération moyenne, déjà élevée, progresse encore.

Voir nos articles 2014 et 2015.

Lire l'article complet

Vers l’entreprise dite « libérée »

Une organisation capitaliste classique

Créée en 1957 à Hallencourt dans le département de la Somme, la FAVI  est  spécialisée dans la production de fourchettes pour boite de vitesse automobile et des rotors à cage cuivre pour l’industrie et les transports.

La société AFICA située à Reims, premier affineur d’alliages cuivreux d’Europe, est son actionnaire unique et selon toute vraisemblance, son principal fournisseur de laiton.

La famille Rousseaux, à 80%  et le fonds spéculatif Salvepar à 20%, constituent l’actionnariat d’AFICA.

L’arrivée d’un directeur visionnaire

Grand chantre de «l’entreprise libérée» JF Zobrist, directeur général de 1983 à 2009, a fait de la Favi son laboratoire d’expérimentation. Et les médias n’ont cessé d’en vanter les résultats sous des titres élogieux «bonheur des salariés» «bien être au travail» …

Et depuis son départ à la retraite, JF Zobrist parcourt le monde pour diffuser la bonne parole, sans jamais rencontrer de contradicteur, selon ses propres dires.

Son successeur à la tête de la Favi, D. Verlant devait perpétuer l’œuvre du grand homme.

Et son management « révolutionnaire »

Fondée sur la confiance en la bonté naturelle de l’homme, l’organisation se caractérise par la suppression des contrôles, de la hiérarchie et une grande autonomie des ouvriers. Liberté de chacun se conjuguerait avec bonheur pour tous dans le travail.

Et pour convaincre de la réalité des bienfaits de sa méthode, JF Zobrist cite le cas de cette ouvrière venue dans les locaux  repeindre sa machine, sur son temps de loisirs et à ses frais (pot de peinture !!!) – Interview du 24 avril 2017 à France 3 Picardie-

Un piège pour salariés et …médias

Paroles lâchées de salariés

Au cours des différentes émissions à la gloire des entreprises libérées, certains salariés se lâchent, une ouvrière avoue sa grande fatigue en fin de journée du fait des cadences élevées, un autre reconnaît une grande opacité dans la répartition des rémunérations, d’autres encore expriment leurs craintes de délocalisation en Roumanie.

Le commentaire, laissé par un salarié à la suite de notre article 2015, est révélateur. Il met en avant le faible niveau des salaires et leur gel depuis deux ans ainsi que la mise en œuvre  d’un plan de départ volontaire. Quant à l’organisation tant vantée par les médias, elle n’existerait que dans les discours.

Un autre salarié nous informe que, depuis deux ans, une pointeuse a été installée sur chaque machine et que le temps de pause  est strictement limité à 20 mn.

Enfin, la principale devise de la Favi  « Par et pour le client » ferait peser de lourdes contraintes sur les conditions de travail.

Interdits de s’exprimer publiquement

Dans le cadre d’un tournage sur La Favi et à la suite de l’interview de JF Zobrist,  une journaliste de Fr 3 Picardie fait part de l’impossibilité de contacter les salariés et les représentants syndicaux.

« L’entreprise n’ouvre plus ses portes aux journalistes, et l’unique syndicat, la CFTC, ne parle pas sans l’accord de la direction.. »

Un syndicat abusé

La présence d’un syndicat est toute récente et a permis à la Direction de faire passer l’accord de gel des salaires.
Le chantage à la délocalisation et à  la menace de la concurrence chinoise a fonctionné à plein régime.

Les élus du comité d’entreprise auraient pu avoir recours à une expertise des comptes, avant d’accepter un accord aussi pénalisant pour les salariés.

La Favi, une vache à lait

« Si on est humanistes, c’est aussi pour faire du fric », aime répéter Jean-François ¬Zobrist, en indiquant de jolis gains de productivité de 3% par an depuis vingt ans.

2006/2015 : Résultats, Dividendes et «  Bas de laine »

Sur 10 ans, 2006/2015, les résultats cumulés ont atteint 37,6 millions € ,  répartis entre versement à l’actionnaires et dépôt sur les comptes en banque.

La Favi a versé à sa maison mère Afica, des  dividendes d’un montant de 20,6 millions €, en rémunération d’un capital d’à peine 1 million € !!!! En 10 ans seulement, la Favi a remboursé à son actionnaire plus de 20 fois la mise de départ.

L’autre part du résultat a alimenté la trésorerie : ainsi à fin 2016,  le montant des comptes en banques était de 18 millions €, à peine rémunéré, l’intérêt  perçu par la Favi étant de 57 957 €.

Dans le même temps , les effectifs ont subi une baisse drastique passant de 472 en 2006 à 383 en 2015, pour un niveau de chiffre d’affaires identique.

Au bonheur des actionnaires et des banquiers !
Pourquoi la constitution de ce bas de laine ???

Et pression permanente sur les salariés

2016 : Déficit réel ou stratégique ?

Avec la baisse du chiffre d’affaires,  le résultat est devenu négatif. Mais le niveau très faible de ce déficit, 130 054 €,  ne met nullement l’entreprise en péril, les réserves passées permettant de le compenser très largement !!!

En outre,   cette mauvaise performance pourrait simplement provenir d’augmentation du prix des matières premières fournies par Afica, ou encore de celui des  prestations de services facturées par cette même société.

Gel des salaires, baisse des effectifs et CICE

Pour justifier le gel des salaires, la Direction a mis en avant les efforts consentis par les actionnaires, avec la diminution de leurs   dividendes à partir de 2015. Mais cette même Direction omet de préciser que la part du bénéfice non distribué alimente les comptes en banque et ne sert nullement au développement de l’entreprise, bien au contraire!

Entre 2015 et 2016,  le salaire moyen mensuel brut est passé de 2 588 € à 2 598 € (+ 0,4% ). Et l’absence de participation a  induit, en fait, un recul de 1% de  la rémunération moyenne totale (salaire+ participation).

La structure de la rémunération se caractérise par  la faiblesse du salaire  de base, (1 300€ net pour un ouvrier et 2 000 € net pour un ETAM) et la part importante de l’intéressement, élément de rémunération incertain et flexible.

Et, en 2016, les effectifs se sont réduits à 374 salariés, alors que la Favi a perçu un CICE de 533 milliers €.

AFICA, la société mère

2006/2015 Résultats, dividendes et .. Bas de laine

Sur  10  ans, 2006/2015, les résultats cumulés sont de 33,5 millions €, dont prés des deux tiers proviennent des dividendes versés par la Favi (20,6 millions €).

La famille Rousseaux (80%) et Salvepar (20%),  ont reçu 9 millions € en rémunération du  capital investi (1,2 million €). Ainsi,  en 10 ans, Afica a remboursé à ses actionnaires 9 fois la mise de départ.

Et comme à la Favi, une autre part importante du résultat a alimenté  la trésorerie : ainsi à fin 2016,  le montant des comptes en banques était de 19 millions €, à peine rémunéré, l’intérêt  perçu par  AFICA étant de 66 989 €.

Sur les deux entreprises , la famille Rousseaux et Salvepar ont donc décidé de laisser dormir profondément sur les comptes en banque un montant 37 millions €.

Mais quels sont donc leurs desseins ?

Des effectifs en baisse, une rémunération moyenne élevée

De 53 salariés en 2006, les effectifs ont diminué à 40 salariés en 2015.
La rémunération moyenne a progressé de 3 % annuellement, passant de 3 490  € mensuel brut en 2006 à 4 409  € en 2015.

Mais attention, il s’agit d’une moyenne calculée sur l’ensemble de l’effectif , composé de 3 cadres et de 37 non cadres (techniciens, employés, ouvriers).
Et il est fort possible que seul le montant très élevé des  salaires des cadres  soit à l’origine d’une moyenne d’un tel niveau.

La hiérarchie est bien présente à AFICA, la recette miracle de l’entreprise libérée n’y est donc pas appliquée!

2016 : Baisse d’activité, hausse du résultat et des rémunérations

Le chiffre d’affaire est réalisé à 40% avec la Favi, dont la baisse d’activité  s’est répercutée sur celle d’Afica, entrainant  une diminution des effectifs de 2 salariés.
Mais le résultat reste très largement bénéficiaire avec un montant de 1 million € (artificiellement gonflé à 4 millions €, par des écritures comptables).

Loin d’être gelée, la moyenne des salaires a augmenté de 9% sur une seule année avec un montant de 4 827 € brut mensuel auquel s’ajoute une participation de 3 520 € annuel par personne (toujours en moyenne).

Mais l’élément inconnu réside toujours dans les écarts de rémunération entre cadres et non cadres d’AFICA.
D’après ces données, il semble bien qu’AFICA ne soit pas menacée par de funestes projets qui ne concerneraient que la Favi..

La Favi est actuellement  mise en danger par la nouvelle stratégie adoptée par les actionnaires, toujours plus avides de profits.
Les salariés comme les médias locaux devraient être attentifs aux évolutions et ne pas se laisser berner par les grands discours asphyxiants sur le coût du travail et la concurrence des travailleurs chinois.

Sources

Comptes financiers FAVI, AFICA (2003 à 2016) comptes consolidés 2014 à 2016
Sites internet FAVI AFICA et SALVEPAR
Article de l’Express décembre 2009,
Emission « Questions de confiance » FR3 Nord pas de Calais 2009
Emission « Bonheur au travail » Arte février 2015
Interview de JF Zobrist – FR3 Picardie avril 2017

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Commentaires

L'ours des P.o. dit :

Quelques réflexions:
« … en un mot, l’un des crédos de la morale moderne est que tout travail est bon en soi – une croyance bien pratique pour tous ceux qui vivent du travail des autres. Je conseille cependant à ces « autres » de ne pas trop s’y fier et de creuser un peu la question » William Morris
«Il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir » Albert CAMUS
« Ce qui nous empêche de travailler, c’est le management capitaliste. » (Bernard FRIOT, économiste)
« La santé au travail est la sentinelle de la santé environnementale »
Dominique Huez (médecin du travail)
« Le travail est le cordon ombilical qui relie chacun à la société. La modernisation managériale et l’individualisation qui est mise en œuvre ont rompu ce cordon. » Danièle Linhart (sociologue)
“L’un des symptômes d’une proche dépression nerveuse est de croire que le travail que l’on fait est terriblement important. […] Si j’étais médecin, je prescrirais des vacances à tous les patients qui considèrent que leur travail est important.” [Bertrand Russell]
« Il n’y a rien de pire qu’une société fondée sur le travail…sans travail »
Hannah Arendt
« le travail n’est pas une marchandise. (…) Il n’y aura pas de paix durable sans justice sociale » Roosevelt
« Le travail rend libre » disait-on. Eh bien non ! On reconnaît le niveau de liberté d’un individu non à sa capacité à travailler servilement, afin de consommer servilement, mais à son degré d’épanouissement dans les activités et les loisirs qu’il aura définis librement et en toute conscience. Laissons tomber le partage du travail, et vive le partage des bons moments ! Pour une révolution ludique et choisie !
GIGN (Groupe d’Intervention Gaillardement Nuisible), Bordeaux, février 1998
Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière-pensée que dans les louanges des actes impersonnels et conformes à l’intérêt général : la crainte de tout ce qui est individuel. On se rend maintenant très bien compte, à l’aspect du travail – c’est-à-dire de ce dur labeur du matin au soir – que c’est là la meilleure police, qu’elle tient chacun en bride et qu’elle s’entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires, et la soustrait à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l’amour et à la haine, il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières. Ainsi, une société où l’on travaille sans cesse durement, jouira d’une plus grande sécurité : et c’est la sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême.
F. Nietzsche, Aurore
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