ORPEA et les EHPAD 2016
La vieillesse et de la dépendance sacrifiées sur l'autel du profit (publié septembre 2017)
En 1989, le docteur Marian ouvrait sa première maison de retraite et quelques 28 ans plus tard, il figure dans le classement des 500 plus grandes fortunes de France.
Durant cette trentaine d’années, la croissance a été assurée par des créations et des rachats d’établissements en France, en Europe puis dans le monde entier.
Coté en bourse en 2002, le groupe Orpéa est aujourd’hui numéro un en France et en Europe pour la prise en charge de la vieillesse et de la dépendance.
Les perspectives d’avenir sont prometteuses avec l’allongement de la durée de vie, le désengagement de l’Etat et une réglementation limitant l’entrée de nouveaux opérateurs.
Avec son implantation dans les centres urbains et ses tarifs élevés, Orpéa cible une clientèle aisée, lui assurant des marges confortables.
Ainsi, les bénéfices sont en constante progression, alimentant de généreuses distributions de dividendes aux actionnaires.
Le cours de l’action en Bourse connait des envolées, assurant de juteuses plus values aux spéculateurs.
Et les dirigeants du Groupe perçoivent des rémunérations attractives, les incitant à accroître encore plus résultats et cours de Bourse.
Les membres du conseil d’administration sont aussi largement rétribués pour leur participation à quelques réunions annuelles.
Mais toutes ces générosités ont un coût élevé, financé par des économies sur le personnel et une dégradation de la qualité des soins des résidents.
Des mouvements de grève déclenchés en France et en Belgique traduisent la mauvaise qualité du climat social, aggravée encore par une sombre histoire d’espionnage.
De même, la mobilisation des famille de résidents a révélé de graves dysfonctionnements dans certains EHPAD, mettant en cause la sécurité des patients.
Avidité des actionnaires ou Prestations de qualité : il faut choisir !!
voir notre vidéo
(voir notre article 2015)
Lire l'article complet
Naissance et croissance d’Orpéa
Les principales étapes
En ouvrant sa première maison de retraite en 1989, le docteur Marian, fin stratège, avait anticipé le développement considérable du marché de la vieillesse et de la dépendance.
Durant les 13 années suivantes, la croissance s’effectuera en France, dynamisée par une diversification de l’activité vers la psychiatrie et les soins de suite et réadaptation.
L’introduction en Bourse en 2002 marquera un tournant décisif dans la vie du groupe. L’activité sera alors étendue à d’autres pays européens, générant une croissance exponentielle du chiffre d’affaires et des résultats.
L’année 2016 marquera une nouvelle étape, avec l’implantation d’un premier établissement hors d’Europe, en Chine.(pour plus de détails, se reporter à notre article 2015)
Début 2017, le groupe Orpéa comprend 751 établissements, dont près de la moitié située en France, le reste dans 8 autres pays européens et un en Chine.
Des perspectives prometteuses
Une concurrence limitée
Dans l’ensemble des pays, l’ouverture de maisons de retraite médicalisées est soumise à une règlementation étatique plus ou moins stricte.
Cependant cette contrainte représente un atout pour Orpéa, car elle freine l’entrée de nouveaux opérateurs sur ce marché, réduisant ainsi le développement de la concurrence.
Et avec son expérience, son réseau et son pouvoir de lobbying, Orpéa peut s’adapter sans peine aux règles édictées.
Des tarifs en grande partie « libres »
Dans l’activité de soins (30% du prix global), la tarification est définie par les Pouvoirs Publics.
Pour l’hébergement et la restauration (70% du prix global), les tarifs sont librement déterminés au moment de l’entrée du résident, seules les évolutions annuelles sont encadrées.
Ainsi, les tarifs d’Orpéa peuvent atteindre dans certains établissements un montant de 6000 € mensuel.
Un potentiel de clientèle en progression constante
En France et en Europe, l’allongement de la durée de vie lié au progrès de la médecine, l’arrivée «à maturité» de la génération du baby boum et le creusement des inégalités de revenu favorisent l’émergence d’une frange de population vieillissante et fortunée.
Et libéralisme oblige, l’Etat limite son intervention et laisse le privé s’engouffrer dans la partie la plus lucrative.
Un vivier chinois illimité
Le développement démographique de la Chine, sa forte croissance économique assurant l’enrichissement d’une partie de la population, ouvrent des perspectives très prometteuses de rentabilité. La création en 2016 d’un établissement haut de gamme à Nankin, constitue la première étape d’une implantation d’Orpéa sur ce marché.
Une rentabilité profitant à qui ? …
Le fondateur historique
Le docteur Marian a été président de 1989 à 2016 et demeure président d’honneur après sa démission, à l’âge de 78 ans en 2017.
Des dividendes attractifs
Actionnaire d’Orpéa, il perçoit sa part (22% jusqu’en 2013) des dividendes versés chaque année : à titre d’exemple en 2012, il a perçu 7 millions €.
En 2016, après la vente d’une part de ses actions, il ne percevra « que » 4,2 millions €.
Une plus value juteuse
En 2013, la vente de ses actions au fonds de pension canadien CPPIB pourrait bien lui avoir rapporté une coquette plus value, de l’ordre de 310 millions € (selon nos calculs, voir orpéa 2015).
Un intérêt « intéressant »
Pour avoir prêté une somme de 70 millions € durant quelques mois en 2014, il a perçu un intérêt de 1 million €.
Une rémunération annuelle conséquente
Un montant de de 550 000 € lui est alloué chaque année.
Ainsi en 2017, dans le classement des 500 premières fortunes de France établi par la revue Challenges, Jean Claude Marian figure à la 226ème place.
Les actionnaires
Des dividendes annuels en hausse
Au cours des 5 dernières années (2012/2016) , le chiffre d’affaires a doublé, générant une forte progression du résultat.
Et sur cette même période, les dividendes distribués ont quasiment doublé, passant de 32 millions € à 60 millions €. Le capital versé dans Orpéa est de 75 millions €,
Et des plus values boursières juteuses
Sur les 5 dernières années, le cours (de clôture) de l’action Orpéa a plus que doublé passant de 33,50€ à 76,76 €.
Les dirigeants
Les rémunérations des deux principaux dirigeants sont constituées d’une part fixe, d’une part variable et d’une part exceptionnelle dite de « superperformance ».
Ainsi en 2016, le directeur général Yves LE MASNE a perçu un montant de 1 319 400 €, dont 720 000 € pour la part fixe, 499 500 € pour la part variable et 99 900 € en part exceptionnelle.
En outre, pour sa participation aux 8 conseils d’administration 2016, il a reçu une somme de 35 000 € au titre «des jetons de présence».
Enfin en récompense de ses performances, il s’est vu attribué 13000 actions gratuites, soit un gain potentiel de près de 1 million €, au dernier cours de clôture.
Quant au directeur général délégué, Jean Claude BRDENK, il a perçu un montant de 1 084 000 €, dont 640 000 € pour la part fixe, 355 200 € pour la part variable et 88 800 € pour la part exceptionnelle.
Les parts variables et exceptionnelles sont principalement conditionnées à des critères de progression des résultats et d’évolution de cours boursiers et donc, en grande partie, liées aux économies réalisées sur le personnel !
Et en cas de départ contraint, ces deux directeurs percevront une indemnité correspondant à 2 ans de rémunérations fixe et variable.
D’autres avantages leur sont accordés, cotisations chômage, véhicule de fonction…
Les administrateurs
Le conseil d’administration, composé de douze administrateurs, dont un représentant les salariés, s’est réuni 8 fois en 2016, le comité d’audit 4 fois et celui des rémunérations 3 fois.
La rétribution des administrateurs constitue une charge annuelle de 321 125 €.
A titre d’exemple, nous citerons les montants perçus par les trois membres les mieux rémunérés.
T. DE PONCHEVILLE : 55000 € pour 15 réunions. Il est directeur chez Peugeot.
JP FORTLACROIX : 51 000 € pour 12 réunions.
Il est expert comptable et gère la SARL CADECO, cabinet d’expertise comptable spécialisé dans l’assistance aux comités d’entreprise ! (pour ce mélange des genres, se reporter à notre article sur les choix d’expert dans les comités d’entreprise).
A. MALBASA : 43 000 € pour 12 réunions.
Il est avocat et a vendu des prestations à Orpéa pour un montant de 444 256 € TTC en 2016.
Si, en valeur absolue, ces sommes n’ont rien de scandaleux, mises en rapport avec le temps de travail, elles paraissent bien élevées !!!
Et pour les salariés et les résidents ….
Des données bien imprécises
Sur la douzaine de pages consacrées à la politique sociale, les informations fournies restent très générales.
Par manque de détails sur les effectifs, il est impossible de déterminer le niveau moyen des rémunérations ainsi que leurs évolutions.
Par manque de données complètes sur les départs, il est impossible de déterminer le taux de rotation du personnel (turn over), indicateur de mal être au travail : les seules informations disponibles concernent les licenciements, aucune indication sur les ruptures conventionnelles, les démissions et autres motifs de départ.
Par manque de précisions sur les causes d’absentéisme, l’analyse des absences pour maladie, indicateur de souffrance au travail, ne peut être effectuée .L’indicateur global d’absentéisme, incluant les congés maternité, n’a guère de signification pour un effectif très majoritairement féminin.
Enfin, le montant du Crédit Impôt Compétitivité Emploi n’est pas mentionné, il doit être pourtant élevé (bas salaires). Et il se pourrait bien qu’il ait servi à l’augmentation des dividendes.
Quant à la politique sociale, rappelons (voir notre article) cette sombre histoire d’espionnage mise à jour par l’Expansion et relayée par Médiapart : une officine privée était chargée d’espionner des salariés, plus particulièrement les syndicalistes. La CGT a porté plainte et une enquête préliminaire a été déclenchée par le procureur en 2014.
Mais des faits bien révélateurs
Des mouvements sociaux
Pour n’en citer que quelques-uns, des débrayages ou des grèves ont eu lieu au Blanc Mesnil, (Seine Saint Denis) en 2014, en Belgique (Anvers, Bruxelles, Charleroi, Liége) et à Courbevoie (Hauts de Seine) en 2015 , à Firmi (Aveyron) et à Noyon (Somme) en 2017.
Les commentaires reçus, à la suite de notre premier article, confirment cette pression permanente sur le personnel.
Des manifestations de colère de famille de résidents
En 2014 à l’Ehpad de Fabregas (83), en 2015, à ceux de Boissise le Roi (77) et de Chatenoy le Royal (71), des familles ont alerté les Pouvoirs Publics pour dénoncer l’insuffisance de personnel, causant de graves préjudices aux résidents et mettant en cause leur sécurité.
Une enquête judiciaire ouverte suite aux décés de résidents
En mars 2016, une enquête judiciaire a été ouverte pour homicide involontaire à l’EHPAD à Biot (06), suite au décès de 3 résidents, noyés dans leur lit lors des intempéries d’octobre 2015.
Dans la plupart des articles relatant ces évènements, il est souligné que la détérioration des conditions de travail des salariés et de vie pour les résidents est intervenue avec le rachat de l’établissement par Orpéa.
Les grands discours du dirigeant fondateur sur son humanisme sont contredits par son enrichissement personnel et son choix de privilégier la rémunération des dirigeants, des actionnaires au détriment des salariés et des résidents.
Sources
Documents de référence 2012 à 2016
Site internet du Groupe Orpéa
Articles de presse :
Le Parisien de mars 2014, janvier 2015, juin 2015
Var Matin d’avril 2014
Médiapart avril 2015
Lameuse (Belgique) : mars 2015
Nice matin mars 2016
Courrier Picard septembre 2017
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