ORPEA et les EHPAD 2015
La vieillesse et la dépendance soumises à l'implacable loi du profit (publié mars 2016)
La prise en charge de la dépendance des personnes âgées a été longtemps assurée par des structures publiques ou associatives sans but lucratif.
Mais depuis une vingtaine d’années, flairant l’opportunité de profits élevés, des établissements privés ont vu le jour. L’accélération du vieillissement de la population, le désengagement progressif de l’État ont laissé le champ libre à des entreprises à but purement commercial.
Créée en 1989, la société Orpéa s’est développée pour atteindre en 2014, la taille d’un grand groupe européen avec 697 établissements et 36 000 salariés en France, en Europe, et bientôt en Chine. Son chiffre d’affaires consolidé 2014 est de 1,9 milliard €, son bénéfice de 123 millions € et les dividendes de 44 millions €.
En 2013, le dirigeant historique a vendu une partie de ses actions et aurait ainsi réalisé un gain de 310 millions €. A l’issue de cette transaction, l’acheteur, un fonds de pension canadien, est devenu premier actionnaire d’Orpéa.
L’avenir s’annonce radieux, car l’évolution du vieillissement de la population est inéluctable et l’entrée de nouveaux concurrents rendue très difficile par les réglementations administratives.
Pour maintenir un haut niveau de rentabilité, Orpéa pratique des tarifs élevés et cible une clientèle urbaine à fort pouvoir d’achat, laissant au service public la prise en charge des moins fortunés.
Mais cela ne suffit pas à satisfaire l’appétit des actionnaires, la pression sur « les coûts » de personnel s’exerce, parfois même avec des méthodes peu reluisantes tel l’espionnage de salariés par une officine privée, ce qui n’est pas sans conséquences sur la qualité des prestations.
Quand une société ne protège plus ses aînés mais les soumet, sans défense, à la seule logique du profit, alors c’est la nation qui est en déchéance.
Suite à cette publication, nous avons reçu trois articles de presse :
Le premier (Parisien mars 2014), relate un mouvement de grève du personnel déclenché par la fermeture de la clinique Gallieni au Blanc Mesnil (93), le deuxième (Var Matin mai 2014) explique la colère de familles de résidents de l’ EHPAD à Fabregas (83) devant l’insuffisance notoire de personnel, causant de graves dysfonctionnements et le troisième (Nice Matin mars 2016), annonce l’ouverture d’une enquête judiciaire pour homicide involontaire à l’EHPAD à Biot (06), suite au décès de 3 résidents, noyés dans leur lit lors des intempéries d’octobre 2015.
Les trois établissements cités font partie du Groupe Orpéa Clinéa.
Historique
1989- 1999 : Ouverture progressive de 45 maisons de retraite Orpéa par le Docteur Marian, actuel Président.
A partir de 1999, : Diversification avec la création ou l’acquisition de cliniques de soins de suite et de réadaptation (SSR) et de psychiatrie, réunies sous la filiale Clinéa.
2002 : Introduction en Bourse.
2004 – 2015 : Poursuite du développement en France et en Europe, Italie, Suisse, Belgique, Espagne, Allemagne, Autriche, Pologne, République Tchèque.
Et en 2016, ouverture prévue d’un premier établissement en Chine.
Situation et activité du groupe Orpéa en 2014
Le Groupe possède 697 établissements, dont 354 en France et 343 dans 5 autres pays européens. En 2015, avec l’acquisition du Groupe Senecura, Orpéa investira l’Autriche et la République Tchèque.
Son activité se décline selon 3 filières : prise en charge permanente dans les maisons de retraite médicalisées (EHPAD), prise en charge temporaire dans les cliniques de soins de suite et de réadaptation et dans les cliniques de psychiatrie.
Une progression exponentielle du chiffre d’affaires
Le chiffre d’affaires consolidé 2014, 1,9 milliard €, est en hausse de 21% par rapport à 2013 et a été multiplié par dix au cours des dix dernières années, celui de 2015 sera de 2,4 milliards € soit une nouvelle hausse de 23% sur une seule année.
Des tarifs élevés malgré une certaine réglementation
Dans son activité de soins (30% du prix global), la tarification est soumise à la réglementation de la Sécurité Sociale.
Mais pour l’hébergement et la restauration (70% du prix global), les tarifs sont librement déterminés au moment de l’entrée du résident, seule les évolutions annuelles sont encadrées.
Ainsi, les tarifs mensuels d’Orpéa sont compris entre 2500 € et 6000 €.
Pour le reste de l’Europe, à quelques variantes prés, c’est un système comparable.
Une stratégie destinée à capter la clientèle riche
Pour attirer une clientèle fortunée, Orpéa s’implante à son voisinage ou dans des quartiers stratégiques (selon le document de référence 2014)
En France
« dans les départements à forte densité de population où la demande est plus importante, avec des établissements situés dans, ou à proximité, des grandes agglomérations »
En Italie,
« Cet établissement issu de la restructuration d’un bâtiment historique au cœur de Turin »
En Espagne
« Ces établissements bénéficient de caractéristiques particulièrement intéressantes : des localisations stratégiques à Madrid … «
Et à propos du Groupe Senecura, acquis en 2015
L’Autriche est dotée d’ « Un pouvoir d’achat élevé, avec un PIB annuel par habitant, de 49 050 $, soit de 40% supérieur à la moyenne de l’Union Européenne….En République tchèque, SeneCura a initié son développement dans les zones à fort pouvoir d’achat, notamment dans la région de Prague. »
Sur la future implantation en Chine
« Même si la puissance publique prendra en charge la plus grande partie de ces besoins, une part significative du secteur restera entièrement privée, notamment pour les personnes et les familles disposant d’un fort pouvoir d’achat et recherchant une offre de très grande qualité. »
Une rentabilité élevée, bénéficiant aux actionnaires
Depuis 2002, le Groupe a dégagé des résultats positifs et en constante hausse. Au cours des 5 dernières années, les bénéfices du Groupe sont passés de 66 millions € en 2010 à 123 millions € en 2014.
Quant aux dividendes distribués, au cours de la même période ils sont passés de 9 millions € à 44 millions €.
Un changement d’actionnaire : le pactole pour le dirigeant historique et l’entrée d’un fonds de pension canadien
Le niveau de rentabilité du capital est apparu très attractif au premier fonds de pension canadien CPPIB (Canada Pension Plan Investment Board), qui, en 2013 est devenu l’actionnaire détenant la part la plus importante (15,9%) du capital d’Orpéa.
CPPIB a racheté au fondateur, Docteur Marian , 8 milliers d’actions pour un prix unitaire de 40€ , soit un montant total de 320 millions €. La valeur nominale de l’action étant de 1,25 €, Docteur Marian aurait ainsi réalisé une plus value de 310 millions €, qui se rajoute aux dividendes perçus depuis 1989 et à percevoir , Docteur Marian ayant gardé 7% des parts.
En outre, Docteur Marian a reçu une somme 1 million € , au titre des intérêt sur un prêt de 70 millions €, consenti durant quelques mois de l’année 2014 !
Des perspectives d’avenir particulièrement alléchantes
Une « clientèle » captive et en développement
« La prise en charge de la dépendance répond à un besoin structurel ne pouvant pas être décalé dans le temps . …elle est davantage liée à l’évolution démographique, statistique fiable et facilement prédictible. …
Selon l’étude EuroTop 2013 réalisée par Eurostat, la population des 80 ans et plus va plus que doubler d’ici à 2050, pour passer de 25,6 millions de personnes aujourd’hui à 57,3 millions en 2050, soit une hausse de plus de 30 millions de personnes…..
Ce phénomène d’accélération du vieillissement est encore plus marqué pour la population très âgée (90 ans et plus) qui va s’accroître de près de 10 millions de personnes d’ici à 2050, soit un triplement de cette classe d’âge. » (doc de référence 2014)
La maladie d’Alzheimer, principal motif d’entrée en maison de retraite pourrait atteindre, selon des études récentes, 25% des personnes de plus de 80 ans.
Une offre actuelle insuffisante et disséminée
Le secteur privé commercial est très fragmenté, constitué de nombreuses petites sociétés , qui seront contraintes, à terme, de s’adosser à des grands groupes.
Quant au secteur public, et privé non lucratif même s’il reste prédominant, avec 80% des lits en France, il ne dispose pas des mêmes possibilités de financement, austérité oblige !
Une concurrence freinée et limitée
« Le risque de voir apparaître de nouveaux entrants sur le secteur de la prise en charge de la Dépendance, ou de voir le nombre de nouveaux établissements, concurrents de ceux du Groupe, se multiplier, est limité.
En effet, l’ouverture d’établissements sanitaires et médico-sociaux est réglementée et soumise à autorisation dans la plupart des pays d’implantation du Groupe ….. » (doc de référence 2014)
Une politique du personnel assez peu transparente
Le personnel est un facteur clé de la qualité de la prestation et notamment de la « bientraitance » des résidents.
Des effectifs totaux en progression
En décembre 2014, l’effectif du Groupe est de 35 795 salariés, en hausse de 10 594 salariés sur une seule année, liée à l’ouverture ou l’acquisition de nouveaux sites.
Les effectifs en France sont 23 404 salariés (84% CDI) avec une hausse de 3 020 salariés sur un an.
Mais des informations sociales peu précises
En France, deux entreprises concentrent la moitié des effectifs : 5 300 pour Clinéa (cliniques) et 7 900 pour Orpéa (maisons de retraite). Les autres salariés sont répartis dans plus de 100 autres entreprises (hors SCI). La liste des entreprises consolidées en page 285 du document de référence 2014 est impressionnante.
Aucune précision n’est fournie sur la rémunération du travail, ni sur le montant du CICE malgré les 17 pages consacrées au personnel, qui n’ont pour objectif que de vanter la politique sociale d’Orpéa.
Mais derrière les beaux discours …
Une sombre affaire d’espionnage
En 2012, un article de L’Expansion a révélé que dans certains établissements d’Orpéa, des salariés avaient été espionnés, par des agents de l’officine GSG (déjà à l’œuvre chez Ikea).
Malgré le démenti de la Direction, la CGT, particulièrement visée par cette surveillance, a porté plainte en décembre 2014 et 3 semaines plus tard le parquet de Paris ouvrait une enquête préliminaire.
Selon Médiapart, (24/4/2015), la Direction d’Orpéa aurait, alors, proposé « un deal de 4 millions € à la CGT » pour qu’elle retire sa plainte. La CGT a refusé, voulant que justice soit faite.
« Des maltraitances dénoncées dans une maison de retraite »
Sous ce titre, un article du Parisien du 7/1/2015, relatait le combat de 28 familles de pensionnaires du Village Boissise-le-Roi contre la dégradation des soins intervenue depuis le rachat de l’établissement par Orpéa en 2013.
Dans un courrier adressé aux institutionnels, les familles pointaient un fort turn-over des cadres de Direction, et une instabilité du personnel, qui perturbait gravement les résidents.
En outre, ces familles dénonçaient d’importants dysfonctionnements, « toilettes tardives, partielles ou non faites, non distribution de médicaments … », du fait d’un manque de moyens, alors que le coût mensuel facturé par résident était de 3000 €.
Mais les incitations à investir dans les EHPAD privés se multiplient dans la presse spécialisée , le déficit de places autorisant toutes les spéculations sur la faiblesse et de la dépendance des personnes âgées.
Sources
Documents de référence 2012,2013, 2014
Site internet du Groupe Orpéa
Article Médiapart du 24 avril 2015
Article du Parisien du 7 janvier 2015
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