POCHECO et l’écolonomie

Derrière une belle vitrine ....De gros secrets bien gardés (publié juin 2016)

Avec le film « Demain » sorti en décembre 2015, la notoriété de l’entreprise Pocheco a gravi un échelon supplémentaire.
Déjà adulée par de nombreux médias, cette entreprise de 114 salariés, installée dans le Nord de la France, fabrique des enveloppes professionnelles dans des conditions particulièrement originales.
Pocheco doit, en effet, sa réputation  au comportement écologique et social, qualifié d’exemplaire, de son dirigeant.

Le modèle écologique est réel, car aisément vérifiable : le dirigeant, E Druon, est un créateur remarquable  de solutions écologiques pour produire proprement sans détruire la planète Terre.

Mais pour le modèle social, la réponse est moins évidente. Le management  de Pocheco s’inspire de celui des «entreprises libérées», un mouvement qui  fait l’objet de nombreuses controverses,  quant à la réalité du «bonheur» des salariés (voir La Favi)

Dans le cas de  Pocheco , la vérification est impossible. En effet, les documents financiers ne sont pas déposés et le dirigeant peut ainsi continuer à affirmer son éthique sociale, sans risque de contestation : toute forme de représentation du personnel a disparu de l’entreprise, et toute demande, même de simple consultation, des comptes est refusée.

PocheCo

Or dans le contexte juridique et financier de Pocheco, cette culture du secret pose question.
E Druon est l’actionnaire unique, donc seul propriétaire du patrimoine professionnel
E Druon a créé en 2008 une société holding Canopee Finance, société écran
E Druon a créé en 2011, la SCI Nevache, domiciliée à la même adresse que Pocheco.
E Druon a probablement eu recours à des subventions pour ses investissements écologiques
E Druon, de nationalité française réside en Belgique.

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La longue histoire d’une petite entreprise familiale  nonagénaire

Les principales étapes de son développement

1928 : Création de l’entreprise  « Les Papeteries Générales du Nord » (PGN) par Paul Descat,  à Roubaix : fabrication de fournitures de bureau et d’enveloppes.
1957 : Nouvelle dénomination, PGN devient « Pocheco », sous la direction de Bernard Descat ( fils de Paul).
1975 : Installation à Forest sur Marque, dans les locaux d’une ancienne usine textile.
1976 : Changement d’actionnaire et de famille avec la cession à  Daniel Druon.
1997 : Nomination d’Emmanuel Druon  (fils de Daniel) comme Directeur Général.
2007 : Changement d’actionnaire avec le rachat par Emmanuel Druon de la totalité des parts à sa famille.
2008 : Création par E. Druon d’une holding Canopee Finance  qui devient l’actionnaire unique de Pocheco, E Druon étant actionnaire unique de Canopee Finance.
2009 : Création de Pocheco Canopee reforestation, association pour le reboisement du Nord Pas de Calais.
2011 : Création de la SCI Nevache avec pour actionnaire majoritaire E Druon, pour activité l’acquisition et la gestion de terrains bâtis ou non bâtis, pour domiciliation l’adresse de Pocheco.
2012 : Création d’un bureau d’études avec Pocheco Canopee Conseil, pour le conseil en « écolonomie »

Caractéristiques  de Pocheco  en 2015

Avec 114 salariés, produisant 2 milliards d’unité d’enveloppes de gestion et réalisant  un chiffre d’affaires de 22 millions €, Pocheco possède 70% des parts de marché  en France. Ses principaux clients, se trouvent dans le secteur bancaire et de l’assurance, les opérateurs téléphoniques, les producteurs et distributeurs d’énergie.
Aucune autre donnée financière n’est disponible.

Le modèle écologique et social de  POCHECO

Modèle écologique

Depuis qu’il en est le dirigeant, E Druon  a appliqué des solutions écologiques dans ses processus industriels, pour la plus grande protection de l’environnement. Ce fait là est indéniable : il suffit pour s’en convaincre de lire les nombreux articles ou de regarder les émissions ainsi que le film « Demain » qui lui ont été consacrés.

Modèle social

Le concept d’entreprises libérées

C’est un nouveau mode de management des salariés très médiatisé par des articles de presse, des émissions de télévision : par exemple le documentaire de la chaîne Arte,   « Au Bonheur des salariés »  listait des entreprises qui libéraient les salariés des contraintes de hiérarchie, d’organisation, de contrôle …

De nombreuses voix discordantes se font, cependant, entendre, dénonçant une nouvelle forme d’asservissement dans ce management « libérateur ». Et curieusement, les critiques viennent de bords différents, syndicats de salariés comme  responsables de ressources humaines; ainsi  François Geuze expert en management des ressources humaines parle d’asservissement des salariés.
Notre analyse sur la FAVI a montré que la productivité y était beaucoup plus élevée, au détriment du bien être des salariés et pour le plus grand profit des actionnaires.

Le modèle  Pocheco présenté par son dirigeant

« Il existe des liens humains forts au service d’un professionnalisme et d’un projet qu’on construit ensemble. Nous n’avons ni hiérarchie énorme, ni titres à rallonge, ni système de contrôle permanent. Les gens acceptent des salaires avec un écart de 1 à 4. Nous sommes dans la coopération plutôt que la compétition. Je suis venu dans le Nord parce que c’est une terre de solidarité. Il faut renoncer à l’accumulation par quelques-uns du produit du travail de la majorité pour une destruction soi-disant créatrice. Entreprendre sans détruire, c’est aussi sans détruire la société en tant que rapports entre êtres humains. » (interview de E Druon- Croix du Nord, 11 février 2016)

Une grande culture du secret

Une vérification impossible

Comme pour la FAVI, nous avons voulu vérifier l’adéquation de la réalité au discours

Mais très vite, nous avons dû constater l’impossibilité de mener l’analyse dans les conditions habituelles, du fait de la non publication des comptes de Pocheco et de Canopee Finance.

Par chance, un débat était organisé dans notre région avec un représentant de l’entreprise Pocheco, nous y avons participé et  fait part de nos interrogations.

Un débat, des questions et des réponses surprenantes

Notre première question portait sur le non dépôt des comptes. Il nous fut répondu que des concurrents  pourraient porter préjudice à Pocheco en utilisant certaines informations.

Rappelons que le dépôt des comptes est obligatoire et qu’en cas de non respect de la réglementation, c’est une amende de …1500€, bien peu dissuasive. Cependant, la très grande majorité des entreprises publient leurs comptes, tout en étant confrontées, elles aussi, à la concurrence.

Notre deuxième question portait sur l’actionnariat, la pérennité de l’entreprise et le modèle social. En effet , le principe de l’associé unique peut créer de graves difficultés au moment de son départ, alors que la participation des salariés à l’actionnariat garantirait la continuité et  serait en cohérence avec le modèle social.
Il nous fut répondu que la proposition avait été faite aux salariés, mais que ceux-ci refusaient d’être associés, par crainte des responsabilités.

Ces réponses nous ont laissés très perplexes.

Un engagement non tenu

Mais, en public, il nous avait été aussi assuré que nous pourrions, sous certaines conditions, accéder aux comptes, il suffisait d’en faire la demande.

Nous avons sollicité, à trois reprises, par mail et téléphone le  représentant de Pocheco, allant jusqu’à lui proposer de nous déplacer (soit 1000 km aller retour) pour consulter sur place, et sans rien emporter, les documents financiers publics des deux sociétés.

Aucune réponse ne nous a été adressée et il semblerait bien aussi qu’aucun journaliste n’ait eu accès aux comptes de Pocheco et Canopee Finance.

Des questions

Première série de questions sur le financement des investissements

Selon l’article de la Croix du Nord du 11 février 2016, le coût des investissements depuis 10 ans serait de 10 millions €, les économies réalisées de 15 millions €.
Les investissements écologiques sont éligibles aux subventions de différentes institutions, notamment de l’Europe (voir petite entreprise d’environnement).

Première question : Sur les 10 millions €, quelle est la part des subventions perçues ?

Deuxième question : Qui a bénéficié des 15 millions € d’économie ? Le patrimoine de Pocheco, de Canopee Finance …  ?

 Deuxième série de questions sur la pérennité de l’entreprise, de son modèle social et le transfert du patrimoine professionnel

E Druon est actionnaire unique, et seul propriétaire des patrimoines de Pocheco et Canopee Finance, financés certainement en grande partie  par des subventions et les bénéfices dégagés.

Première question : Comment sera transmis ce patrimoine et comment sera assurée la continuité de l’entreprise sous la même éthique, le départ de l’actionnaire unique  pouvant  intervenir de manière inattendue ?

Deuxième question : Pour quoi ne pas avoir dés 2007, créé une Scop, rendant les salariés associés de l’entreprise, copropriétaires du patrimoine et permettant d’ assurer la pérennité du modèle social ? Ou pourquoi ne pas le faire maintenant ?

Troisième série de questions sur l’existence de la holding

Il est affirmé à de nombreuses reprises, que Pocheco ne verse aucun dividende à l’actionnaire, que la hiérarchie des salaires est de 1 à 4.

Canope Finance pourrait ne pas être liée par cette éthique et ainsi facturer des prestations de service  à Pocheco, verser des salaires plus élevés et distribuer des dividendes à son actionnaire unique.

Première question : Quelles sont les relations financières entre Pocheco et Canopee Finance ?

Deuxième question : Canopee Finance a-t-elle des salariés ?

Troisième question : Canopee Finance fait-elle des bénéfices et si oui,  comment sont-ils répartis ? Dividendes, Patrimoine ?

Quatrième série de questions sur l’existence de la SCI Nevache

D’après les statuts, cette SCI a été créée en 2011 pour l’acquisition et la gestion de terrains bâtis ou non bâtis. Deux associés participent au capital dont E Druon avec 51% des parts, l’adresse du siège social est la même que celle de Pocheco.

Unique question : la SCI Nevache est-elle propriétaire de terrains et constructions utilisés par Pocheco ? Si oui, dans quelles conditions sont effectuées les transactions ? Si non, pourquoi l’avoir domicilié au siège social de Pocheco ?

Pour finir, une observation sur le choix d’habiter en Belgique . En tant que frontalier, E Druon doit, en principe, régler ses impôts dans le pays de résidence, la Belgique. Or les taux d’imposition des revenus du travail sont beaucoup plus élevés en Belgique qu’en France, par contre ceux du capital et des droits de succession le sont beaucoup moins. On ignore si le choix de résider en Belgique est dû à des considérations personnelles ou fiscales. La question mériterait d’être posée.

Sources

Articles de presse : Croix du Nord de février 2016, les Echos du 8 octobre 2014
Sites internet de Pocheco et de Pocheco Canopee Conseil
Site www.e-rh.org : article de François Geuze
Site  trophees.chefdentreprise.com
Statuts SCI Nevache

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Commentaires

Culoma Elsa dit :

Ah, enfin une entreprise respectueuse de l’environnement ! Avec des salariés enfin heureux au travail car libérés du management, que demander de plus ? Une ou plusieurs holdings par exemple ? Les salariés sont si heureux qu’ils sont encore plus productifs, il faut bien gérer les richesses produites.
Les actionnaires sont donc heureux eux aussi (prêtre même plus encore)…
Que demander de plus ?!
La culture du secret ? Faut-il vraiment toujours tout savoir … au risque de devenir malheureux ?!
Enfin si j’ai bien compris c’est à peut près ça. Merci !

JUSTUNPEU dit :

Les salariés sont si heureux qu’ils en ignorent les profits ! quelle abnégation ! Alors les richesses sont elles partagées ?

Catherine dit :

C’est beau de critiquer les entreprises qui cultivent soi disant le secret mais d’abord qui se cachent derrière votre site? Un « petit collectif d’ouvriers, d’employés et de cadres » comme vous l’écrivez. ça ne nous renseignent pas assez sur vos origines et vos intentions.
Au lieu de critiquer des entrepreneurs et des salariés qui pour une fois innovent globalement dans le bon sens pour l’écologie et l’homme, concentrez vous sur les dinosaures qui pour se moderniser et rester « performants «  (d’un point de vue uniquement économique) pratiquent le harcèlement de toutes sortes et massacrent des salariés. Laissons les PME s’épanouir et innover.

Le membre de la direction de Pocheco venu à Chambéry a bien précisé que certains salariés ne se faisaient pas à ce mode de participation et préféraient partir; à l’opposé certains salariés font 1 heure de route pour venir cette entreprise dans laquelle ils s’épanouissent tant. Il est évident qu’un même modèle social ne peut pas plaire, ne convient pas à tout le monde. Il en est ainsi de la démarche participative mais aussi d’un encadrement trop dirigiste.
L’homme n’est pas un, le salarié non plus.
Pour le secret sur leurs comptes, c’est regrettable que vous n’ayez pas eu de réponse sauf que les salariés eux y ont accès si j’ai bien compris. ils sont régulièrement tenus au courant de la situation financière de leur entreprise, ce qui n’est pas une pratique courante en France.

Je vous invite dans tous les cas à lire les deux ouvrages de Druon – ce que j’ai fait – pour vous rendre compte par vous même s’il est sincère ou non et si enrichissement personnel il y a; au sens humain c’est indéniable, au sens économique c’est moins évident. J’ai choisi mon bord, même si cela ne m’empêche pas de rester critique.

Et si vous alliez faire un tour du côté d’une entreprise savoyarde ultra secrète : la société Opinel? Il y aurait sans doute à redire.
Un tour aussi du côté de grosses associations qui se disent relever du mouvement d’éducation populaire et qui ignorent les maigres droits sociaux de leurs animateurs (la qualité de leur séjours aussi) et qui elles n’ont malheureusement pas l’obligation de publier leurs comptes!
Il y a du boulot mais il faut bien choisir ses cibles!

en conclusion : s’il y a une organisation à moins critiquer que les autres, c’est bien Pocheco à mon avis!

Armand dit :

Je confirme les propos de Catherine.
E Druon sait donner envie aux salariés de s’investir pour que leur entreprise soit rentable pour être pérenne et non « pour engraisser des actionnaires ». Cela ne l’intéresse pas d’être N° 1.
Cette rentabilité à du sens pour les salariés qui adhèrent à cette philosophie de travail. Les maigres bénéfices (fabricant d’enveloppes je le rappelle) sont réinvestis dans l’ entreprise pour améliorer l’outil de travail, réduire la pénibilité, améliorer la sécurité et surtout diminuer l’emprunte écologique. D’où la dénomination du livre d’Emmanuel Druon, Ecolonomie, que je vous invite à lire.
Il est plus économique sur le moyen et long terme de produire Ecologique.
Il ne se décrit pas comme patron, mais comme collaborateur, en accompagnant les salariés qui veulent oeuvrer dans l’amélioration de leur outil de travail.
Son autre force a peut être été de trouver des investissement pour développer des techniques permettant par exemple de mettre au point des encres sans solvant pour diminuer l’impact écologique des rejets.
Cf article libération : http://www.liberation.fr/futurs/2015/05/14/ecologie-pocheco-a-pris-le-pli_1309564

De trouver des financements pour acheter des voitures électriques rechargées par des panneaux solaires posés sur les toits de l’usine, afin que des salariés volontaires puissent faire du covoiturage.
En tout cas, il fait tout pour que les conditions de travail des collaborateurs soient bonnes et favoriser le bien être au travail. Que demander de plus à une entreprise ?

J’ai pu en plus le vérifier en échangeant ce printemps avec un salarié, qui est intervenu en visioconférence pour présenter leur solution de covoiturage lors d’une AG d’une association à Chambéry.

Evidemment l’organisation de l’entreprise avec un seul échelon, piloté par un Comité de pilotage de 6 personnes ( 3 hommes et 3 femmes), où tout se décident ensemble, peut perturber ceux habitués à une représentation salariale traditionnelle.
Sur ce,je vous souhaite une bonne reprise et de vous épanouir au travail !
Armand

hector dit :

Management par la peur

Les salarié.es contacté.es, licencié.es ou toujours en poste, sont tantôt terrorisé.es de se livrer à des journalistes par crainte de représailles, tantôt angoissé.es à l’idée de sereplonger dans cette période de leur vie. Premier constat surprenant, à l’opposé de l’ambiance de travail que nous vend E. Druon dans son ouvrage, Écolonomie : entreprendre sans détruire (2016) : « Dans les années 90, l’équipe aux commandes [celle de papa, donc], dirigeait l’entreprise de façon approximative, au détriment de la qualité et au profit de la rentabilité à court terme. Ce qu’on appelle depuis le harcèlement moral était pratiquement érigé en règle de management. Et on passe les détournements financiers et autres petits arrangements avec la loi ». Pour changer ça, E. Druon constitue alors une équipe à son service, organisée autour d’un « triptyque vertueux » : réduction de l’impact sur l’environnement, diminution de la pénibilité au travail et amélioration de la productivité. Belles intentions résumées en une formule : « il est plus économique de produire de façon écologique ». Reste à mettre un nom pour vendre cette évidence à deux balles à qui veut l’entendre : l’écolonomie. Et le tour est joué pour celui qui déclare sans l’ombre d’un cas de conscience « on dirait parfois que découvrir les règles de l’écolonomie est un jeu ». Et si la partie touchait à sa fin ?

Celles et ceux qui ont accepté de nous rencontrer décrivent tou.tes le même système et le même personnage. « Gourou », « tyran », « fou furieux », « bipolaire », doté d’une très forte emprise et qui ne supporte ni la contradiction, ni l’insoumission. Loin de l’image de celui qui nomme ses salarié.es, ou plutôt ses « collègues », par leurs prénoms, qui considère dans ses ouvrages la croissance comme « une folie furieuse », et qui dénonce « les effets du management par la terreur ». Tou.tes témoignent de l’opprobre qui s’abat sur celui ou celle qui ne prouve pas suffisamment sa dévotion envers Pocheco ou envers son président. En revanche, bienvenue dans le club des privilégié.es pour qui obtient les bonnes grâces du « despote éclairé » ou de son bras droit Yazid Bousselaoui4. Ce dernier, fidèle de la première heure, est désormais le directeur général de Canopée Finance, la holding de Pocheco5. Ces deux hommes règnent sur les quelques 120 salarié.es en distribuant menaces de licenciement, pressions psychologiques et humiliations publiques aux fortes têtes ; promotions, augmentations substantielles et regards approbateurs pour leurs protégé.es. Un ouvrier de la boîte témoigne : « tout le monde est terrorisé dans la boîte, t’as 99 % des gens qui sont des moutons, t’as des pressions individuelles et des manipulations sournoises exercées par la direction et ses sbires ». Il continue : « tu sais, c’est pas un article qu’il faut écrire sur la boîte, c’est tout un bouquin, tellement y’a d’histoires ».

ulysse dit :

L’œil de Moscou

Chez Pocheco, une baisse de régime, une revendication salariale ou une remarque malheureuse expose à trois heures de « tête à tête » avec Druon et son acolyte. Surréalistes « tête-à-tête », racontés par des personnes qui ne semblaient pas y croire elles-mêmes tant le souvenir est encore douloureux. Des monologues moralisateurs de bons pères de famille, entrecoupés d’intimidations, de questions pièges pour « tester la loyauté » et autres pressions en tous genres, voilà pour la version subtile. Pour la version plus directe, ajouter les « hurlements », « les insultes » et « les objets qui volent » comme nous l’assurent les ex-salarié.es. Seule issue possible pour l’employé.e : ravaler sa fierté, courber l’échine et surtout jurer que ça n’arrivera plus. Si le maître perçoit malgré tout une adulation insuffisante pour sa personne, sa stratégie ou ses géniales idées, alors il vous invite à emprunter « le trou dans le mur que l’on appelle : la porte ! ». Vu le nombre de personnes à nous livrer cette formule, le mec doit en être fier. Bousselaoui, quant à lui, supervise la production. « Tout le monde en a peur » et peu osent dire non quand il annonce la veille d’un week-end « toi, demain tu viens bosser », lâche un ex-ouvrier soulagé d’avoir quitté cet « enfer ». Déjà en 2001, dans une note interne, des salarié.es interpellent Druon pour que cesse le « parler malveillant, l’air hargneux et les remarques perfides » de son bras droit, à cette époque responsable de production. Visiblement le temps ne l’a pas adouci. Pour assurer leur emprise sur les « collègues », de grandes réunions sont organisées. Bousselaoui s’occupe des équipes de production tous les lundis. Druon, quant à lui, s’occupe des équipes commerciales tous les vendredis. Sorte de mix entre team building, conférence et distribution de bons points, ces grand-messes s’étalent sur des heures et permettent aux deux tauliers de décliner leurs choix et d’identifier les réfractaires.

achille dit :

Écologie, le voile de la misère sociale

Druon se targue d’avoir sauvegardé tous les emplois et d’avoir su garder les mêmes employé.es pendant des décennies. Dans son bouquin, le mec va jusqu’à se la jouer grande famille : « Le taux de remplacement est faible chez Pocheco, en moyenne, nous restons douze ans dans l’équipe. Quand on s’en va, on reste en contact ». Drôle d’idée du contact, sauf à penser que des ex-salarié.es qui te décrivent comme un « pervers narcissique », cela relève de l’affection. Le turn-over hallucinant dû aux licenciements, aux démissions et autres ruptures conventionnelles de ces dernières années prouvent le contraire. Et s’il est vrai que certain.es ouvrier.ères ont passé leur vie à Pocheco, ce n’est sûrement pas à cause du salaire qui ne décolle pas du SMIC. Mais plus sûrement parce qu’après vingt ans sur les mêmes machines, la reconversion est quasi impossible dans cette région sinistrée par le chômage. « Les négociations annuelles obligatoires n’existent pas, elles sont simplement rajoutées artificiellement à l’ordre du jour du comité d’entreprise pour se protéger en cas de contrôle »6, témoigne une ex-salariée. Tandis que les ouvriers taffent pour un SMIC, on nous certifie que Druon et Bousselaoui émargeaient il y a quelques années encore à près de 9 000 euros mensuels. À moins que dans sa grande mansuétude, Druon ait placé le SMIC à 2 250 euros dans sa boîte, on est clairement loin d’un écart de un à quatre.

En 2002, Pocheco se fait condamner à 150 000 € d’amende par les prud’hommes pour avoir viré une salariée deux semaines après l’annonce de sa grossesse. Une lettre de licenciement comme carte de félicitations, on a fait mieux. Trop expéditif sur ce coup-là, E. Druon, entouré par une avocate en droit des affaires, Maître Bastin, décide de se montrer plus finaud à l’avenir. Désormais, quand le radar de Druon détecte une personne à la loyauté douteuse, il ordonne qu’un dossier disciplinaire soit monté en prévision d’une éventuelle saisine des prud’hommes. Pression est alors mise sur les collègues, sommé.es de signer des attestations écrites à charge contre d’autres. Si ils et elles n’ont rien à dire, pas d’inquiétude, on leur demande de signer une déclaration frauduleuse, comme nous l’avoue une ex-salariée. Ignoble système où, si la personne refuse d’enfoncer son collègue, ce pourrait bien être son tour la prochaine fois. Cette personne, face au juge des prud’hommes, découvrira alors les mensonges dont on l’accuse et que ses ancien.nes collègues auront accepté d’attester.

Émilien7, ex-cadre, nous raconte une de ces fameuses réunions du vendredi où il a eu la folie de mettre en doute la parole divine. Alors que Druon est en train de présenter un nouvelle interface pour le site internet de la boîte, Émilien fait remarquer que le graphisme pourrait laisser sous entendre du greenwashing. Le lundi suivant, il est convoqué et licencié pour faute grave. Sa lettre de licenciement illustre parfaitement l’orgueil et la susceptibilité de Druon : « désinvolture », « manquement grave aux règles de respect de votre employeur en le provoquant et, facteur aggravant, devant tous ». Chez Pocheco, on est pour la concertation, à condition d’être d’accord avec le chef. Surtout que celles et ceux qui ont eu l’énergie de saisir les prud’hommes ont été mis.es en garde : « J’ai été en contact avec les prud’hommes au moment de mon licenciement, assure Émilien, et plusieurs juges m’ont affirmé que Druon était un habitué des couloirs. »

zeus dit :

« Ne respectez pas la législation…Devancez-la ! »

Cette maxime placardée à l’entrée de l’usine8, nous éclaire sur la vision de Druon concernant les droits et la représentativité des travailleur.es. Il n’existe pas de syndicat à Pocheco. Et Mme Fissa Aklil, longtemps déléguée du personnel et également seule élue du CE n’est autre que la belle-sœur de Bousselaoui. Simple fruit du hasard pourrait-on se dire, quand on sait que près de 10% des salarié.es sont de la famille de Bousselaoui ou assimilée, à l’image d’Élodie Bia, gérante de Canopée Conseil, membre du comité de pilotage et… compagne de Bousselaoui. C’est surtout autant de paires d’yeux et d’oreilles fidèles pour la direction. Voilà pourquoi personne ne moufte et tout le monde sourit quand un journaliste se pointe. D’ailleurs, quand des invité.es prestigieu.ses visitent l’open-space, il est très vivement recommandé de se lever et d’arborer son plus beau sourire sous peine de subir le courroux du gourou. Pour les employé.es les plus dociles qui jouent le jeu et crient au génie chaque fois que Druon ouvre la bouche, la promotion peut être fulgurante et le salaire doublé du jour au lendemain, comme nous l’atteste une source administrative de la boîte.

Cette emprise psychologique et l’absence de moyen de défense pour les salarié.es les conduit à tout accepter. Ainsi, pour financer un bardage bois pour son entrepôt, Druon suggère de booster encore la productivité. Et propose de lancer une nouvelle équipe sur le week-end… de nuit. La vie de famille et le sommeil tiennent à peu de choses chez Pocheco. « Même le soir de Noël, M. Druon obligeait les ouvriers à rester jusqu’à 20h, les gens pouvaient même pas rejoindre leur famille » nous confie-t-on. Il est également avéré que les quotas d’heures supplémentaires annuelles sont explosés pour bon nombre d’employé.es. « Tous les gars sont épuisés, on bosse en général quarante heures mais y’en a souvent à quarante cinq heures par semaine. Parfois, les gars font douze heures le week-end et enchaînent la semaine suivante sans se reposer », nous lâche un ex-ouvrier.

poseidon dit :

Entreprises libérées, salarié.es baîllonné.es

Ces méthodes existent ailleurs et d’autres « tyrans » sont à la tête de bien d’autres entreprises. Druon incarne sans doute l’avenir de l’entrepreneuriat, celui où l’écologie permet de masquer la misère sociale. D’ailleurs, à mater toutes les récompenses que l’entreprise a reçues depuis 20129, on se dit que l’illusion a de très beaux jours devant elle. Druon va encore plus loin et pousse la tartufferie jusqu’à publier un « manifeste d’anti-management »10. Il y reprend le jargon des entreprises libérées11, parlant même de « préservation de l’harmonie, du respect et de l’estime de l’autre ». Beau parleur et roi de l’esbroufe, ce triste sire se jette sur tous les micros et caméras qui passent pour glorifier ses méthodes visionnaires. Force est de reconnaître qu’il est convaincant, puisque malgré les innombrables interviews, documentaires et autres enquêtes sur « le miracle Pocheco », à aucun moment n’est remis en cause le soi-disant « bien-être au travail ». « Ce n’est pas tant le tortionnaire qui est à blâmer, estime Éloïse, elle aussi licenciée, que la crédulité d’une société qui a besoin de ces belles histoires ». Le tragique, c’est qu’à chaque fois que Druon est encensé dans les médias, c’est une terrible claque pour chaque ancien.ne salarié.e, sans parler de celles et ceux qui y travaillent encore.

D’ailleurs, « Druon sait que l’activité est vouée à s’effondrer en raison de la baisse d’activité sur le marché de l’enveloppe. Ce qui restera, ce sont des machines et la valeur patrimoniale de sa boîte, alimentée par tous les investissements réalisés dans la rénovation écologique de ses bâtiments », lâche un ex-salarié. Les travailleur.ses iront pointer au chômage et le boss, seul actionnaire, coulera des jours heureux en Belgique où il habite (toute ressemblance avec la tendance à l’évasion fiscale chez les grands patrons du nord de la France ne serait que pure coïncidence…). « Mon inculture de la chose financière me rend certainement paranoïaque », confie Druon dans son ouvrage. Le mec répète depuis des années qu’il envisage de transformer Pocheco en SCOP pour y associer tou.tes les salarié.es – on comprend mieux pourquoi il tarde à le faire… Encore de la paranoïa, sans doute.

D’ailleurs, on a demandé un rendez-vous avec visite de l’entreprise. Druon a accepté, tandis qu’il faisait circuler une note interne précisant aux employé.es de ne pas causer avec les journalistes. Trois heures avant la rencontre, il annule, avec « regrets », et n’a pour l’heure pas donné suite. Comme on est cools, on ne lui en tiendra pas rigueur. Mieux, alors qu’il assure dans son bouquin: « Pour choisir nos orientations, chez Pocheco, nous commençons presque toujours par une recherche documentaire… », on lui répond, t’inquiète gros, on t’envoie le code du travail et on sera aux portes de l’usine dès la semaine prochaine pour y dealer La Brique. À très vite.