La COMPAGNIE DES ALPES 2017 (CDA)

Le coûteux  fiasco  de l’aventure des musées Grévin à  l’international (publié février 2018)

Entreprise publique créée en 1989,  pour assurer la gestion des domaines skiables, la Compagnie des Alpes (CDA) s’est rapidement concentrée sur les stations les plus rentables, engrangeant ainsi d’importants bénéfices.
Mais,  loin d’utiliser ces excédents pour soutenir des communes de montagne en difficulté, la CDA mènera une stratégie de diversification contestable et coûteuse.

Introduite en Bourse en 1994 et privatisée en 2004 , la CDA va se lancer dans une première aventure, celle des parcs de loisirs. Entre 2002 et 2011, 22 parcs de loisirs seront acquis, mais pas pour longtemps, car en 2011, un changement brutal de stratégie interviendra, et en moins de 5 années, 10 parcs seront revendus ou fermés. A quel prix ?

A partir de 2012, les dirigeants se lanceront dans une nouvelle aventure à l’international, avec, entre autres, la création de 4 musées Grévin à l’étranger.
En quelques années, leurs pertes cumulées atteindront 28 millions €, soit l’équivalent d’une année de bénéfice moyen des domaines skiables.
Et la décision de fermeture des sites de Séoul et Prague constitue un véritable aveu de cet échec  sans qu’aucune responsabilité ne soit analysée, le PDG bénéficiera d’une sécurisation de sa rémunération  et d’une assurance chômage.

Les chiffres d’affaires et les résultats des 11 stations alpines sont en hausse en 2016/2017, malgré  le faible enneigement de la saison hivernale. Cependant, le bénéfice record de 38 millions €,  ne semble pas suffire aux dirigeants  qui veulent renégocier le contrat avec la commune de Serre Chevalier et poursuivre leur politique de «maîtrise des charges» , en particulier, celles du personnel.

Comme toutes les entreprises bénéficiaires de délégations de service public, la CDA veut transférer les pertes à la collectivité et conserver jalousement les profits.

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La gestion des domaines skiables : le grand écart entre les principes de départ et la réalité

Petit rappel historique

Dans les années 50, afin de stopper l’exode rural et développer le tourisme montagnard, le gouvernement favorisera l’aménagement de stations de skis, comme à Courchevel, Chamrousse, Tignes, la Plagne … Très vite, la gestion sera déléguée à des opérateurs privés, plus soucieux du profit, que de l’environnement et du développement économique des territoires ruraux.

Alors pour limiter les dégâts d’une croissance débridée, la « loi Montagne » de 1985  confiera l’exploitation des domaines skiables aux collectivités locales, dont la plupart poursuivront, cependant,  les délégations de service public au privé, du fait de l’insuffisance de leurs ressources. (pour plus de détails, se reporter aux articles 2015 et 2016)

Les grands principes de départ …

Pour mettre à disposition des communes, un prestataire plus soucieux de l’intérêt public,  la Caisse des Dépôts créera, en 1989,  une filiale, la Compagnie des Alpes, chargée d’assurer la gestion des domaines skiables.
L’objectif, selon les termes même de la CDA était de « redresser  le secteur économique des domaines skiables ».

… et la réalité

Mais le principal but poursuivi sera la rentabilité,  la Compagnie des Alpes se positionnera très vite  sur les meilleurs domaines skiables, vaste étendue et haute altitude, pour délaisser  les stations de moyenne montagne moins lucratives, ou déficitaires.

Avec l’introduction en Bourse en 1994 et la privatisation en 2004, la course au profit ne connaitra plus de répit. Ainsi en septembre 2017, la CDA possède  11 stations parmi les plus prestigieuses de France, qui lui assurent un bénéfice de 38 millions € pour l’exercice 2016/2017, période pourtant  caractérisée par un faible enneigement.

L’obsession de la « maitrise des charges »

Les versements aux communes et la renégociation à sens unique

Dans le document de référence 2017,  les dirigeants affichent leur volonté de renégocier le contrat de concession avec la commune de Serre Chevalier, pour en alléger les versements et améliorer le résultat, un déficit de 400 milliers € en 2015/2016.

La CDA, comme tout bénéficiaire de délégations de service public,  veut faire porter les pertes à la collectivité mais se garde bien de vouloir partager les bénéfices.

En effet, en 2015/2016,  les profits sont  de 6,6 millions € à Val d’Isère, de 8 millions € aux Menuires , de 5 millions € à Méribel , de 3 millions € au Grand Massif (Flaine ..), de 7 millions € aux Arcs, de 8 millions € à la Plagne , de 6 millions € à Tignes , de 1,5 million € aux Deux Alpes Loisirs.

Tout commentaire serait superflu!!

La pression sur le personnel

Sur les 5 dernières années, le chiffre d’affaires (Domaines skiables) a progressé de 8,3% et le résultat brut (EBO)  de 13,6%. Cette « belle performance » est en grande partie liée aux économies réalisées sur le personnel.

Pour le plus grand bonheur des actionnaires

Sur les 4 dernières années, les dividendes  sont passés de 8,4 millions € à 12,2 millions €, soit une augmentation  de 50%. Et le cours de Bourse s’envole :

« Le cours de l’action a fortement progressé de près de 59 % au cours de cet exercice. Il est passé de 17,0 € au 30 septembre 2016 à 26,95 € au 29 septembre 2017 et il a atteint un plus haut à 29,7 € le 26 juin. » (document de référence 2017)

Les parcs de loisirs : la passion et le divorce

2002/2010 : la passion et l’acquisition de 22 parcs

Afin de se diversifier et de compléter l’activité hivernale, les dirigeants de  la CDA décidèrent, dans les années 2000, d’investir  dans les parcs de loisirs. En 2002,  en une seule opération , la CDA acquière 10 parcs, dont 8 en France: Musée Grévin, Parc Astérix, France miniature …, un au Pays Bas et un en Allemagne.

Les années suivantes, les acquisitions se poursuivent en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, en France, avec Planète sauvage et Mer de sable. En 2006,  l’intégration du groupe Walibi fait entrer 7 nouveaux sites dans le giron de la CDA. Enfin, en 2011, le dernier parc conquis sera le Futuroscope.

Ainsi, en seulement 8 années, la CDA sera devenue propriétaire de 22 parcs de loisirs. Mais les résultats financiers ne sont guère encourageants.

2011/2015 : le divorce et la cession de 12 parcs

En 2011, le Groupe annonce sa décision d’effectuer un recentrage stratégique :

« Par ailleurs, nous avons procédé à la cession d’un ensemble de 7 Parcs de loisirs qui ne répondaient plus aux priorités stratégiques du Groupe, axées sur la valorisation des marques et la gestion de sites de plus grande taille. » (document de référence 2011)

En 2012, le « Bioscope » est fermé après 6 ans d’existence.
En 2015, 4 autres parcs sont revendus.

Ces revirements sur une si courte durée laissent perplexes sur le sérieux de la  stratégie et interrogent sur les coûts financiers de l’opération.

En 2016/2017, la situation s’est stabilisée

Sur la période 2016/2017, trois parcs dégagent des bénéfices importants, le Futuroscope avec 6 millions €, Grevin&CIE avec 7 millions €, Belpark en Belgique avec 6,5 millions €, les autres sont à l’équilibre comme France Miniature. Seul le parc néerlandais Walibi connaît un gros déficit de 3 millions €.

La nouvelle aventure du développement à l’international

A partir de 2011/2012, une nouvelle  stratégie est définie : le développement à l’international autour de deux axes.

Conseils et assistance technique : l’équilibre financier

« avec la poursuite du contrat d’assistance à l’exploitation de la station de Thaiwoo pour la troisième année consécutive, l’accompagnement de la conception et la construction de la station de Yanqing qui accueillera les épreuves phares des Jeux Olympiques 2022, ainsi que des contrats de masterplanning dans l’Altaï et dans la région d’Urumqi. » (Document de référence 2017)

« L’activité de conseil a aussi connu cette année de beaux succès dans d’autres régions, et notamment en Turquie, au Kazakhstan, en Géorgie, à Moscou ou à Paris avec le Jardin d’Acclimatation. » (Document de référence 2017)

Selon le commentaire du document de référence, cette activité serait à l’équilibre, mais d’après les résultats de CDA Management, le résultat est déficitaire de 197 milliers € en 2016/2017.

Création de  musées Grévin à l’étranger : un fiasco financier

Sur les 4 musées Grévin ouverts, en 2013 à Montréal, en 2014 à Prague, en 2015 à Séoul et en 2016 à Vevey en Suisse, deux seront fermés en 2018, un autre est en sursis et  le dernier est ….encensé.

Les explications officielles et la réalité chiffrée

« A l’issue de la saison 2016-2017, les sites de Séoul et de Prague affichent des résultats inférieurs aux attentes y compris dans une perspective de plan à moyen terme. Dans ces circonstances, la décision a été prise de se retirer de la gestion de ces actifs par cession ou fermeture qui devraient intervenir au cours du nouvel exercice. » (Document de référence 2017)

« Des résultats inférieurs aux attentes » ?  Certes !!!
A  Prague, c’est un déficit cumulé de 10,7 millions € depuis 2012/2013
A Séoul, c’est un déficit cumulé de 9 millions € depuis 2014/2015

« Le site de Montréal qui a dû faire face à des problématiques d’accessibilité et déshérence du centre commercial où il est implanté, du fait de la rénovation de ce dernier, devrait voir cette situation conjoncturelle s’améliorer au cours des deux prochaines saisons » (Document de référence 2017)

« Une problématique d’accessibilité » pour Montréal ? D’un coût bien élevé!
Avec un déficit cumulé de 7,3 millions € depuis 2013.

« Quatrième de sa génération, le site Chaplin’s World by Grévin qui a ouvert ses portes au public en avril 2016 à Vevey affiche de très belles performances pour son premier exercice plein, qui témoignent de l’intérêt de s’appuyer sur une marque universelle comme Chaplin pour lancer une nouvelle offre » (Document de référence 2017)

De « très belles performances pour son premier exercice plein » qui se traduisent, en fait, par un déficit de 447 000 € !

Entre 2013 et 2017, la facture des 4 musées Grévin, s’élève à  28 millions €  !!
L’absence totale d’analyse sérieuse dans le document de référence pourrait apparaître comme une volonté de masquer cet échec.

Et une sécurisation de la rémunération du Président

Hausse de la rémunération fixe

« La rémunération fixe de Dominique Marcel, Président-Directeur général a été portée de 360 000 € à 400 000 € à compter du 9 mars 2017, date de renouvellement du mandat de Président-Directeur général. » (document de référence 2017)

Baisse de la rémunération variable

« Ainsi, le montant maximum de la rémunération variable du Président-Directeur général a été réduit pour être porté à 12,5 % de sa rémunération fixe (contre 50 % auparavant) et ce à compter du 9 mars 2017 »

La rémunération globale serait en baisse mais plus sécurisée.

Souscription d’une assurance chômage privée

« Le Conseil d’administration du 9 mars 2017 a approuvé, conformément aux dispositions des articles L. 235-38 du Code de commerce, la souscription par la Société, au profit de Dominique Marcel en sa qualité de Président-Directeur général, d’une assurance chômage privée »

En conclusion, la poule aux œufs d’or blanc a nourri des stratégies bien contestables et coûteuses.
Une délégation de service public à un opérateur privé finit toujours par enrichir les actionnaires au détriment de la collectivité et du service public.

 

 

Sources

Documents de référence du Groupe Compagnie des Alpes 2010 à 2017
Site Internet du Groupe
Comptes financiers  des 11 filiales des domaines skiables
Articles 2015, 2016

 

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Commentaires

Marie dit :

« Une délégation de service public à un opérateur privé finit toujours par enrichir les actionnaires au détriment de la collectivité et du service public »: c’est ce qu’on appelle la modernisation, à moins que le principe soit du retour en arrière de plus d’un siècle, seul le nom a changé!

Gérard dit :

Je suis savoyard et totalement abasourdi par cet article, car je connais bien des communes de montagnes en difficulté. Comment peut on tolérer que tous ces bénéfices provenant de nos belles stations aille se perdre à l’étranger sans aucun retour pour nos montagnes ?
Il faut que les maires de ces communes qui délèguent à la CDA exigent que les bénéfices soient réinvestis sur leurs stations ou dans les communes voisines mais pas dans des musées de cire voués à l’échec.
Vous parlez de 29 millions € investis à fonds perdus, je suis écœuré car j’habite à coté d’une petite commune qui a beaucoup de mal à vivre du tourisme d’hiver

michèle dit :

On connaît les difficultés des saisonniers à trouver un logement « correct », hors des caves et des camping cars gelés, pour venir travailler dans les stations, et ces dirigeants se permettent de gaspiller 28 millions € pour jouer avec des mannequins de cire dans les musées Grévin. Alors où est passée leur humanité. Je reprendrai la question de François Ruffin à Carlos Gohn « Quand vous enfilez vos chaussettes le matin, à quoi pensez vous messieurs les dirigeants de la CDA » Aux logements indignes des saisonniers ou aux dividendes versés aux actionnaires ?

Catherine dit :

Cela fait plusieurs fois que je lis cet article et à chaque fois c’est la même consternation et une conséquence : ne plus aller skier!
La CDC n’est actionnaire plus qu’à 39,4% au 30.09.2018 (lire rapport annuel de la CDC sur ses participations) donc il se peut fort bien que l’objet de la CDA ait été modifié puisque ses actionnaires sont en majorité privés. Même si la CDC récupère des dividendes qui j’espère servent vraiment l’intérêt général (certains doivent bien se rémunérer grassement au passage), doit-elle vraiment conserver ce genre de participations, cautionner ces façons de faire?
J’ai lu dans la revue municipale de la station de Serre Chevalier (détenue à 100% par la CDA) ou dans le projet de plan d’urbanisme de la commune (plus précisément PLUI) que la CDA conditionnait le renouvellement des remontées mécaniques et investissements au nombre de lits sur le territoire, en orientant fortement vers les hébergements de luxe. Voilà un cas de station et d’une vallée entière qui prennent un virage « luxe » , joue à fond le jeu de la fuite en avant propre au capitalisme outrancier; cela en outre fait monter le prix du foncier et des logements pour les locaux. On en arrive à voir se reconstruire sur 500 m2 de terrain des chalets de 300 m2 à 2 000 000 € et très peu occupés .
Mais comment résister?